Syrie: les négociations butent d’entrée sur les questions humanitaires

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Les négociations sur la Syrie avancent millimètre par millimètre. A l’issue de la deuxième journée de pourparlers entre les représentants du régime de Bachar Al-Assad et ceux de l’opposition, dimanche 26 janvier à Genève, aucun compromis n’a pu être trouvé sur les deux questions à l’ordre du jour : l’acheminement d’un convoi humanitaire vers la ville de Homs et l’échange des prisonniers.

Les traits de plus en plus tirés, Lakhdar Brahimi, le médiateur des Nations unies, est resté très prudent lors de sa conférence de presse, dimanche soir, au Palais des Nations, le siège de l’ONU à Genève. « J’espère que nous approchons d’une solution », s’est-il borné à indiquer. « Si tout va bien, à partir de demain [lundi], les femmes et les enfants pourront quitter la vieille ville de Homs », assiégée par l’armée syrienne depuis juin 2012. Pour les autres habitants, a précisé M. Brahimi, les autorités syriennes demandent que leur soit fournie une liste de tous ceux qui souhaiteraient partir.

De son côté, Faysal Meqdad, le vice-ministre des affaires étrangères syrien, a assuré que le gouvernement avait accepté cette évacuation de civils. « Si les terroristes armés de Homs laissent les femmes et les enfants partir de la vieille ville, nous leur laisserons la voie libre », a-t-il affirmé dimanche soir. Toutefois, il subsistait encore des interrogations sur les garanties réclamées par le pouvoir syrien pour procéder à cette opération. Des militants des quartiers assiégés de Homs ont eux demandé des « garanties » afin que les civils autorisés à quitter la ville ne soient pas arrêtés par le régime.

Lire les témoignages de militants de l’opposition civile : « Le régime syrien n’arrêtera de tuer sa population que par la force »

AUCUN COMPROMIS SUR LES PRISONNIERS

Lakhdar Brahimi, le médiateur des Nations unies pour la Syrie, le 24 janvier à Genève.

La situation demeurait toujours aussi confuse, dimanche soir, sur l’aide humanitaire. Là encore, M. Brahimi n’a pas voulu s’avancer. « Nous espérons que les convois entreront dans Homs demain [lundi] », a-t-il indiqué. Mais Faysal Meqdad a souligné que le passage des convois faisait encore l’objet de discussions entre le gouverneur de Homs et la représentation de l’ONU à Damas. « Pour nous, le plus important est que ces convois ne tombent pas entre les mains des terroristes », a-t-il lâché d’un ton tranchant.

Quant à l’échange des prisonniers, aucun compromis n’est en vue. M. Meqdad a estimé que la liste présentée, dimanche, par l’opposition n’était pas crédible. « Plus 70 % des personnes mentionnées n’ont jamais été en prison et 20 % d’entre elles ont déjà été libérées », a-t-il indiqué.

Face à la multiplication des obstacles après seulement deux jours de pourparlers, Lakhdar Brahimi n’a pas voulu s’avancer sur la suite du processus. « Sortir la Syrie du fossé dans lequel le pays est tombé prendra du temps », s’est-il contenté de dire. En proposant de débuter ces négociations par des questions d’ordre humanitaire, Lakhdar Brahimi, un diplomate algérien aguerri, cherche pourtant à amener les deux parties à amorcer un fragile dialogue avant de rentrer dans le vif du sujet, à partir de lundi, sur la transition politique. Mais la difficulté à avancer sur les questions humanitaires et sur celle des détenus est révélatrice du gouffre qui sépare les belligérants.

LE RÉGIME DE DAMAS JOUE LA MONTRE

Bachar Al-Jaafari, ambassadeur de la république syrienne auprès des Nations Unies, pendant les pourparlers de Genève II, à Montreux, le 22 janvier.

Depuis l’ouverture de la conférence de paix sur la Syrie, mercredi 22 janvier à Montreux, le pouvoir syrien a clairement démontré son peu d’empressement à négocier. D’abord en réfutant la légitimité de la délégation de l’opposition, emmenée par la Coalition nationale syrienne (CNS), la colonne vertébrale des mouvements opposés au régime de Damas.

Ensuite, en refusant de reconnaître l’objet même de ces pourparlers : la formation d’une « instance de gouvernement transitoire dotée de pleins pouvoirs », une formulation qui vise à écarter Bachar Al-Assad. « Il n’y aura pas de transfert de pouvoir et le président Assad reste en place », a martelé Omran Zoabi, le ministre syrien de l’information, dès le lancement des pourparlers. Un propos ensuite répété en boucle par tous les représentants du régime à chaque étape de ces discussions tortueuses.

Tant que le pouvoir syrien continuera de bénéficier du soutien politique et militaire de ses alliés russes et iraniens et que le rapport de force sur le terrain ne le menace pas, il n’y a aucune raison pour qu’il fasse des concessions. Plus les négociations de Genève se prolongeront, plus ses adversaires se diviseront, faute de résultats tangibles. Et plus l’assise du pouvoir se renforcera. Au vu de la teneur de ces premières journées de pourparlers, le régime de Damas a visiblement l’intention de jouer la montre.

DES QUESTIONS « SECONDAIRES »

Une rue de la zone de Homs tenue par les rebelles et assiégée par l’armée syrienne, le 4 janvier 2013.

Cela était encore perceptible dimanche. Sur la question de l’accès de convois humanitaires à Homs, le régime a freiné des quatre fers. Bouthaina Chaaban, proche conseillère d’Assad, a même traité par le mépris la situation à Homs, dont les quartiers rebelles de la ville sont bombardés quasiment tous les jours par l’armée syrienne. « L’autre partie est venue ici pour discuter d’un petit problème ici ou là. Nous, nous sommes là pour débattre de l’avenir de la Syrie », a-t-elle affirmé.

Même tactique pour l’échange des prisonniers. Alors que l’opposition a indiqué, dimanche, avoir présenté « des listes de dizaines de milliers de prisonniers dans les prisons du régime », Omran Zoabi a assuré que Damas voulait gérer cette question « sans discrimination ». « Il y a aussi des milliers de personnes enlevées [par les rebelles ou les djihadistes], certains ont disparu depuis deux ans et demie et il n’y a pas de trace d’eux », a-t-il affirmé. Une manière de mettre dans le même panier l’opposition et les groupes salafistes qui se combattent pourtant sur le terrain. Et de rendre la CNS responsable de prisonniers entre les mains des djihadistes.

Même sur ces questions dites « secondaires », le dialogue de sourds se poursuivait à l’issue de cette deuxième journée de négociations. Elles pourraient se prolonger jusqu’à la fin de la semaine prochaine, selon Lakhdar Brahimi. Autant dire que le climat entourant ces pourparlers est aux antipodes de la devise du diplomate britannique, Robert Cecil, l’un des architectes de la Ligue des nations, gravée en lettres dorées sur un mur du premier étage du siège de l’ONU à Genève : « Les nations doivent désarmer ou périr »…

Lemonde.fr




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