Réconciliation palestinienne: une manœuvre d’Abbas’

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Une délégation de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a conclu, dans la nuit du mardi 22 au mercredi 23 avril, avec le Hamas, à Gaza, un accord de réconciliation en sept points. Il prévoit notamment la formation d’un gouvernement d’entente nationale composé de technocrates « d’ici à cinq semaines », ainsi que l’organisation d’élections présidentielle et législatives d’ici à six mois. Sa signature intervient à une semaine de l’échéance fixée pour les négociations de paix entre l’Autorité palestinienne et Israël, le 29 avril, qui paraissent compromises. Jean-François Legrain, historien à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman, décrypte les dessous de cet accord interpalestinien.

L’accord de réconciliation palestinienne signe-t-il l’acte de mort des négociations de paix avec Israël qui doivent s’achever le 29 avril ‘

Jean-François Legrain : Pas forcément. Bien qu’un texte ait été conclu en bonne et due forme, la circonspection est de mise. Des accords d’entente nationale et de réconciliation ont déjà été signés par le passé — au Caire (Egypte), le 4 mai 2011 ; à Doha (Qatar), le 6 février 2012, réaffirmé au Caire, le 20 mai 2012— sans jamais avoir été traduits dans la réalité. La rapidité avec laquelle le nouveau texte a négocié puis signé – deux jours – a de quoi surprendre. Mais la réconciliation palestinienne est un serpent de mer vieux de plusieurs années naviguant au gré des intérêts du moment de l’un ou l’autre des protagonistes.

Il a été signé ce mercredi à Gaza par les représentants des deux organisations palestiniennes. L’accord prévoit la formation, dans les prochaines semaines, d’un gouvernement de consensus national, dirigé par le président Mahmoud Abbas et composé de personnalités indépendantes. Il pourrait mettre fin à plusieurs années de division politique. “Nous allons oublier ce qu’il s’est produit dans le passé’‘, a souligné le représentant du Fatah (OLP) Azzam al-Ahmad. ‘‘Le résultat des efforts que nous avons fournis est clair aujourd’hui, vu que nous sommes d’accord sur tous les points qui étaient en discussion.’‘ “C’est une bonne nouvelle que nous annonçons à notre peuple : le temps de la division est révolu’‘, a de son côté déclaré Ismaël Haniyeh, le chef du gouvernement du Hamas, au pouvoir à Gaza. L’accord de réconciliation entre le Hamas et l’OLP a été très mal accueilli par Israël. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a accusé les Palestiniens de saborder le processus de paix.

Aujourd’hui, le contexte est très particulier. Isolé du fait de ses réalignements diplomatiques issus des printemps arabes à l’époque où le Qatar et les Frères musulmans étaient triomphants, et davantage encore du fait du coup d’Etat de l’armée en Egypte de juillet 2013, le Hamas est demandeur d’un accord depuis plusieurs mois. Il a ainsi libéré des prisonniers du Fatah, amnistié ses membres les plus en vue impliqués dans les violences de 2007 et autorisé ses émissaires à se rendre dans la bande de Gaza. La fin programmée des négociations entre l’OLP et Israël, le 29 avril, impose son actualité et place également Ramallah et l’OLP en demandeurs.

Quel intérêt ont Mahmoud Abbas et l’OLP à signer un accord de réconciliation avec le Hamas à une semaine de la fin des négociations avec Israël, et alors même que l’Etat hébreu se refuse à négocier avec le Hamas, qui ne reconnaît pas son existence ‘

L’analyse la plus simple suggérerait que Mahmoud Abbas et l’OLP ne pouvaient que chercher une légitimité élargie dans un moment qui pourrait s’avérer crucial pour le destin même de la Palestine. On peut, cependant, se demander si la signature de cet accord ne constitue pas simplement une manœuvre pour faire pression sur les Etats-Unis et Israël, afin de permettre à la partie palestinienne d’accepter, sans perdre la face, une prolongation des négociations au-delà du 29 avril.

La signature, en ce cas, serait à rapprocher de la menace, émise le 21 avril, par Mahmoud Abbas, de « rendre les clés » à Israël en dissolvant l’Autorité intérimaire d’autonomie [l’Autorité palestinienne née des accords d’Oslo de 1993], une hypothèse que ne peut envisager ni Israël, du simple point de vue économique, ni la communauté internationale, du point de vue politique. Mahmoud Abbas est vraisemblablement plus intéressé par les négociations, même sans fin – desquelles procède l’Autorité intérimaire d’autonomie et qui constituent le cœur de la politique préconisée par l’OLP depuis les années 1980 – qu’au rapprochement avec le Hamas, qui ne peut que lui compliquer la vie. Il ne peut, en revanche, passer pour celui qui se serait couché devant ses partenaires.

En dépit des négociations antérieures et jusqu’aux plus récentes, Mahmoud Abbas n’avait d’ailleurs donné aucun signe d’une réelle volonté de rapprochement. Les arrestations de membres du Hamas se poursuivaient en Cisjordanie quand il affichait son soutien le plus total au nouveau régime égyptien, qui renforçait au même moment son blocus de la bande de Gaza. J’ai du mal à croire qu’en deux jours, on puisse revenir sur des années de désintégration nationale… notamment à si peu de temps de la fin programmée des négociations.

En cas de relance et de prolongation des négociations de paix avec Israël après le 29 avril, que peut-il advenir de l’accord de réconciliation palestinienne ‘

Dans l’hypothèse où Mahmoud Abbas obtiendrait de quoi pouvoir accepter la prolongation des négociations, il y a fort à parier que les « concessions » acceptées par ses partenaires auront pour prix le renoncement à la réconciliation. Rien ne lui serait alors plus facile que d’alléguer les difficultés de la mise en œuvre de l’accord pour prolonger la division. De nombreux grains de sable peuvent se glisser dans la machine.

Le texte, par exemple, ne dit rien des questions de sécurité, même si les accords précédents constituent ses références. Toutes les décisions sont désormais censées être le fruit du consensus, mais y aura-t-il fusion des services de sécurité du Hamas avec ceux de Cisjordanie ‘ La garde présidentielle de Mahmoud Abbas sera-t-elle autorisée à se déployer le long de la frontière entre la bande de Gaza et l’Egypte ‘

Il y a par ailleurs un grand absent parmi les signataires : le Djihad islamique, une force plus populaire que jamais dans la bande de Gaza, et qui bénéficie d’une partie de l’aide du Hezbollah et de l’Iran. Sous la présidence de Mohamed Morsi, l’Egypte avait su amener le Djihad islamique a être partie prenante du cessez-le-feu signé entre le Hamas et Israël en 2011, sous égide américaine, un cessez-le-feu encore en vigueur aujourd’hui tant bien que mal. L’Egypte du maréchal Al-Sissi ne semble pas témoigner de la même sagesse.

lemonde.fr




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