Syrie: la France “a la certitude” que du gaz sarin a été utilisé

558

Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a assuré dans un communiqué, mardi 4 juin, que, selon des analyses françaises, du gaz sarin a bien été utilisé “avec certitude à plusieurs reprises et de façon localisée” en Syrie.

Pour étayer ses affirmations, le ministre se prononce sur la base de deux séries de prélèvements réalisés en Syrie. Ceux ramenés par des journalistes du Monde de la région de Damas, montrent la présence d’acide isopropyle et méthylphosphonique (métabolite de sarin) dans les urines de trois victimes.

Invité de France 2, M. Fabius a assuré qu’une “ligne” avait été franchie, sans pour autant infléchir sa position sur une éventuelle intervention. “Nous ne voulons pas l’impunité, mais il ne faut pas bloquer la conférence de paix de Genève”, prévue pour juillet, a-t-il ajouté. Interrogé sur l’hypothèse d’un bombardement ciblé des lieux de stockage d’armes chimiques, il a répondu : “Nous n’en sommes pas là.” M. Fabius s’est également refusé à accélérer la livraison d’armes aux rebelles syriens, bloquée jusqu’au 1er août.

La substance en question, qui est le résidu du gaz sarin laissé dans le corps, a été identifiée par quatre techniques d’analyse, selon les résulats confidentiels, que Le Monde a pu consulter, réalisées par le centre de recherches du Bouchet, dépendant de la délégation générale pour l’armement (DGA). Les échantillons sanguins, eux, n’ont pas pu être exploités.
• Les prélèvements réalisés à Saraqeb sont probants
Les prélèvements réalisés à la suite de l’attaque par un hélicoptère gouvernemental à Saraqeb (province d’Idlib), dans le nord du pays, le 29 avril 2013, sont encore plus probants. Le métabolite de sarin a été identifé dans les urines d’une victime, et du sarin régénéré (c’est-à-dire à l’état pur), dans le sang de deux autres victimes, dont l’une à une concentration élevée (9,5 nanogrammes/millilitre).

Les prélèvements à Saraqeb concernent cinq victimes, dont l’une est morte : ils ont été effectués par l’équipe soignante d’un hôpital de la région d’Idlib, et transmis aux services français le 4 mai, avant d’arriver au laboratoire le 9 mai. Selon les experts, les prélèvements sanguins sont impossibles à falsifier, contrairement aux urines, qui peuvent éventuellement être manipulées.

Autant l’origine de l’attaque chimique n’est pas possible à établir avec certitude à Djobar, autant celle de Saraqeb ne semble pas faire de doutes, à cause de la présence d’un hélicoptère de l’armée qui avait largué des sous-munitions, chargées de gaz toxiques. Sur ce deuxième cas, Laurent Fabius a assuré sur France 2 qu’il ne fait “aucun doute que c’est le régime qui est en cause”.
• Résultats transmis à l’ONU
M. Fabius précise qu’il a remis les résultats des analyses mardi matin au professeur Ake Sellström, chef de la mission d’enquête mise en place par le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon et chargée d’établir les faits sur les allégations d’emplois d’armes chimiques en Syrie. Les analyses ont été réalisées par un laboratoire français désigné par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Selon une source diplomatique, Paris a par ailleurs informé ses partenaires et homologues américains, britanniques, russes et européens.
Plus tôt dans la journée, la commission d’enquête de l’ONU sur le conflit a indiqué, sur la base d’entretiens avec des victimes, du personnel médical et d’autres témoins, qu'”il y a des motifs raisonnables de penser que des quantités limitées de produits chimiques ont été utilisées”.
Les enquêteurs des Nations unies font état de quatre événements : à Khan Al-Assal près d’Alep le 19 mars, à Uteibah près de Damas le 19 mars, dans le quartier de Cheikh Maksoud à Alep le 13 avril et dans la ville de Saraqeb le 29 avril.
• Soupçons depuis plusieurs mois
Des soupçons sur l’utilisation d’armes chimiques en Syrie circulent depuis plusieurs mois. Après une demi-douzaine d’incidents dans lesquels le régime syrien était fortement soupçonné d’avoir eu recours à des armes non conventionnelles, des vidéos postées par des militants avaient ravivé les doutes sur l’utilisation d’armes chimiques, dans la localité de Saraqeb.

Mais c’est dès janvier que la question de l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien avait été posée, quand les conclusions d’une enquête menée par les services de renseignement de l’ambassade américaine en Turquie, à propos d’un incident à Homs le 23 décembre 2012, avaient fuité dans la presse.
Lire : Syrie : forts soupçons d’usage d’armes chimiques

Au cours de ces derniers mois, les envoyés spéciaux du Monde en Syrie ont également pu être témoins d’attaques chimiques contre les rebelles. Notre photographe a filmé une attaque, a recueilli le témoignage des combattants et a rencontré des médecins qui ont soigné des victimes des gaz.

Lire : L’enquête du “Monde” au cœur de la guerre
• Armes chimiques : “ligne rouge” depuis 2012

Depuis le début du conflit en Syrie, le 15 mars 2011, Washington et ses alliés ont l’œil rivé sur l’important arsenal d’armes non conventionnelles que la Syrie est suspectée d’avoir constitué pour tenter de réduire l’écart qui n’a cessé de se creuser avec l’armée israélienne, en matière de moyens militaires, après la guerre de 1973.
Dès le 20 août 2012, après l’annonce, par le Wall Street Journal, de la possibilité que ces armes chimiques soient déplacées, Barack Obama avait déclaré que “le moindre mouvement ou emploi d’armes chimiques” en Syrie entraînerait “d’énormes conséquences” et constituerait une “ligne rouge” pour les Etats-Unis. La mise en garde s’adressait “au régime Assad, mais aussi à d’autres acteurs sur le terrain”, avait précisé le président américain, soutenu peu après par le premier ministre britannique.

Quelques jours plus tard, François Hollande avait à son tour indiqué que l’usage d’armes chimiques par le régime syrien serait une “cause légitime d’intervention directe” de la communauté internationale.

Lire : Les armes chimiques, ligne rouge d’une intervention en Syrie

Malgré les preuves fournies par la France, la Maison Blanche a toutefois annoncé mardi 4 juin qu’il fallait “augmenter le faisceau des preuves en notre possession avant de prendre une décision”, repoussant encore une fois l’éventualité d’une intervention des Etats-Unis en Syrie.

Lire : Armes chimiques en Syrie : les Etats-Unis demandent davantage de preuves

• Qu’est-ce que le sarin ‘
Produit en quantités énormes par l’Union soviétique et les Etats-Unis après la seconde guerre mondiale, le gaz sarin est utilisé comme arme chimique. “La France conduisait des essais sur le terrain en Algérie, même pendant la guerre d’Algérie”, indique John Hart. Il a été étiqueté comme arme de destruction massive par les Nations unies en 1991, par la résolution 687.

Il fait partie des armes et munitions stockées par certains pays : la France, par exemple, en a immergé une certaine quantité, noyée dans du béton, au large d’Ouessant. En 1995, ce gaz a été utilisé lors d’un attentat dans le métro de Tokyo, au Japon, par la secte japonaise Aum, faisant 13 morts et plus de 6 000 blessés.
Substance inodore, incolore et volatile, il passe facilement la barrière des poumons et est absorbé par la peau, d’où il passe directement dans le sang. Quand il ne tue pas, il laisse de graves séquelles neurologiques. Le sarin attaque le système nerveux humain.

Lemonde.fr




Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.