Si les projets de révision constitutionnelle taillée sur mesure qui ravagent l’Afrique continuent de semer le branle-bas dans le jeu politique, celui initié récemment par les autorités ivoiriennes n’est pas en marge. Il suscite des guerres d’usure. Arrivée au pouvoir dans un contexte on ne peut plus tendu, le Président Alassane Dramane Ouattara a voulu, par voie référendaire, actualiser la Constitution ivoirienne afin de la rendre plus modernisatrice et plus stabilisatrice des institutions. Si pour lui cette nouvelle Constitution permettra de tourner définitivement la page de la crise qui a émaillé le pays pendant une décennie, pour d’autres, il est difficile d’effacer un passé qui est présent encore. Pendant que l’opposition appelle au boycott en estimant qu’il s’agit d’un projet rétrograde, démagogique et monarchique, nous vous proposons, non pas de décrypter toutes les dispositions, d’analyser les 5 principaux points chers aux auteurs:
1. Création d’un poste de vice-président, si jusque-là l’exécutif ivoirien était bicéphale (Président de la république et le gouvernement) désormais la création d’un poste de vice-président de la République plaide pour un exécutif tricéphale (PR-VPR-PM). Quelle serait l’utilité d’un tel projet ? Calqué sur le modèle américain, le VPR est élu sur le même suffrage que son mentor (PR). Il lui succède en cas de décès ou d’empêchement. Alors que pour les auteurs, le VPR permet d’assurer la stabilité de l’exécutif. Pour certains observateurs, beaucoup de questions restent sans réponse sur ce point : pourquoi AOD propose un tel poste maintenant ? N’est-il pas sûr d’aller jusqu’au bout de son second mandat ? Prépare-t-il donc sa succession monarchique déguisée ?
2. Eligibilité, si on reprochait à l’actuel Président de la République son origine burkinabè, avec le fameux terme “ivoirité”, la Constitution souhaite désormais clarifier les conditions d’éligibilité. L’article 55 dispose que « Le candidat à l’élection présidentielle (…) doit être EXCLUSIVEMENT de nationalité ivoirienne, né de père ou de mère ivoirien d’origine », plus radicale, l’actuelle Constitution exige de père ET de mère. En tout état de cause, la question d’ivoirité, à notre sens, n’est pas totalement résolue. Cela est d’autant plus vraisemblable que le terme « Exclusivement » exclu certaines catégories ivoiriennes. C’est le cas notamment des binationaux ivoiro-guinéen, ivoiro-malien, ivoiro-français,…Certes, la Constitution fait sauter les verrous de l’âge requis, mais de surcroit, elle ne règle pas malheureusement la question d’ivoirité définitivement qui a endeuillée le pays pendant une décennie.
3. Création d’un Sénat, si jusque-là le Parlement ivoirien, à l’instar de celui de beaucoup de pays africains, était un Parlement monocaméral (l’Assemblée nationale), désormais la création d’un Sénat intercède pour un Parlement bicaméral (Assemblée nationale et le Sénat). En effet, pour M. Ouattara, cette seconde chambre, composée « d’anciens serviteurs de l’Etat, de personnalité de qualité », sera synonyme de stabilité. Tandis que certains opposants scandent l’inutilité du Sénat en estimant qu’il s’agit d’un concept dépassé et anachronique. D’autres s’offusquent du mode de désignation des sénateurs. Ils s’indignent que dans la conception de démocratie représentative, les sénateurs ne soient pas tous désignés par voie électorale (suffrage universel direct ou indirect). Ils seront élus pour deux tiers au suffrage universel indirect. Un tiers est désigné par le Président de la République.
4. Elections à date fixe, là aussi M. Ouattara gratte sur le terrain du modèle anglo-saxon. En effet, il s’agit de graver dans le marbre la date des échéances électorales afin d’éviter toute manœuvre du pouvoir sortant. La Constitution ivoirienne prévoit donc les élections à date fixe, suivant un cycle régulier. Par cette disposition, elle verrouille théoriquement la possibilité pour le pouvoir sortant de modifier la date des consultations électorales afin de déclencher les campagnes à son aise.
5. Création d’une chambre des rois, la pratique des chefferies traditionnelles et coutumières est très répandue au pays des Ebriés contrairement à d’autres pays africains. Et souvent on assiste à un chevauchement entre l’application des règles traditionnelles et celles issues du droit positif. Pour M. Ouattara, le meilleur compromis serait alors de reconnaître officiellement ces habitudes traditionnelles. C’est pourquoi, il souhaite institutionnaliser le rôle des chefs coutumiers en créant dans la Constitution la chambre nationale des rois et des chefs traditionnels.
Finalement on aura compris que la trame de fond de ce projet de révision n’est pas de maintenir M. Ouattara indéfiniment au pouvoir, quoi que certains points restent encore flous, mais de garantir la stabilité des institutions républicaines.
Au peuple ivoirien d’y trancher.
Par Kalil Aissata keita
Juriste de formation à Paris