Il faut scruter la “zone à haut risque” du principal centre Ebola de Conakry pour apercevoir un éventuel patient. Mais ailleurs en Guinée, le virus prolifère sur un terrain favorable de méfiance viscérale envers l’autorité, foyer de rumeurs échevelées.
Des trois pays essentiellement touchés – Guinée, Liberia, Sierra Leone – c’est dans le premier que les réactions se manifestent le plus brutalement, culminant en septembre 2014 avec le meurtre de huit membres d’une équipe de sensibilisation dans le Sud forestier, épicentre originel de l’épidémie.
Des violences ont éclaté la semaine dernière dans l’ouest de la Guinée, où se concentrent les nouveaux cas, avec dégradation de bâtiments publics et d’ambulances, voire agressions contre des personnels de santé.
Face à ces “réticences” – selon la pudique terminologie officielle – qui masquent la persistance de chaînes de transmission insoupçonnées, la Guinée et la Sierra Leone voisine ont décrété vendredi la prolongation jusqu’au 30 juin de “l’urgence sanitaire renforcée” dans les provinces touchées.
“Avec la réticence, ce n’est pas toujours facile de suivre des gens qui se cachent ou qui essayent d’échapper aux contrôles et aux investigations”, reconnaît Sara Christiaensen, promoteur santé pour Médecins sans Frontières (MSF) à l’hôpital Donka de Conakry.
“Ils croient qu’ils vont mourir au CTE (centre de traitement d’Ebola), qu’on brûle les corps, qu’on vend du sang, qu’on vend des parties du corps”, énumère-t-elle. “Les rumeurs, ça reste un grand défi”, prévient la responsable de MSF, précisant que l’ONG les recense systématiquement pour les combattre.
Dans un compte-rendu de mission sur 26 villages récalcitrants de Guinée forestière visités à l’été 2014, la socio-anthropologue Julienne Anoko, consultante pour l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), a catalogué ces rumeurs, propagées sous d’innombrables variantes à travers les trois pays.
Outre le trafic d’organes ou de cadavres, les théories du complot y foisonnent, celui des Blancs pour faire main basse sur les ressources africaines, ou des dirigeants pour capter les fonds de ces mêmes Blancs, quand il ne s’agit pas de réduire des populations jugées hostiles au pouvoir.
– ‘Violence et corruption de l’Etat’ –
Mais Frédéric Le Marcis, professeur d’anthropologie sociale à l’Ecole normale supérieure de Lyon (France), qui a effectué plusieurs missions en Guinée, voit dans ces prétendues “réticences” une réaction naturelle à “une intervention de l’Etat et plus globalement des élites qui étaient perçues comme corrompues et elles-mêmes violentes”.
“Ce ne sont pas des débiles qui n’ont aucune connaissance et qui refusent le discours biomédical qui vient pour les sauver, mais des gens qui réagissent en fonction d’une expérience qui ne commence pas avec Ebola”, une méfiance aggravée par les errements de l’action d’urgence contre le virus, remarque-t-il.
“La Guinée forestière, c’était une zone d’extraction d’esclaves massive pour tous les empires”, explique-t-il, “qui a toujours été en marge de centres forts, et exploitée” puis présentée comme “la sauvagerie contre laquelle il fallait lutter” sous la dictature de Sékou Touré (1958-1984).
“C’étaient des zones qui ont été soumises à la violence de l’Etat, quel qu’il soit”, résume Frédéric Le Marcis, “avec une logique d’extraction permanente, et ça c’est vrai pour toute la Guinée”.
Probable séquelle de ce passé douloureux, “en Guinée il y a une fascination pour la Guerre froide”, relève Sara Christiaensen, citant une rumeur récurrente selon laquelle Ebola serait une arme créée à cette époque.
Malgré tout, “la connaissance du CTE et Ebola a augmenté”, souligne-t-elle: “Quand on veut recruter, on reçoit une tonne de CV alors qu’il y a quelques mois on avait des difficultés pour trouver quelqu’un”.
Mais la coopération n’est jamais acquise, comme la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) en fait l’amère expérience.
Moins de deux mois après s’être félicitée, statistiques à l’appui, d’être parvenue à “réduire considérablement la résistance et l’animosité envers ses volontaires”, elle se retrouve en première ligne face aux récentes violences.
“C’est un cycle. Quand il y a de nouveaux foyers, on est généralement exposé à deux choses”, commente Facély Diawara, coordinateur contre Ebola à la FICR en Guinée: “La peur qui entraîne la désinformation”, se traduisant souvent “par des actions de violence, de réticence”.
Mais il se veut philosophe, prédisant que ceux-là mêmes qui chassent ses équipes les appelleront bientôt au secours, comme depuis le début de l’épidémie: “Ils nous cognent, on attend, on discute, et finalement ils nous applaudissent après”.
AFP