Bruxelles: Cellou fait le procès du régime Condé (discours intégral)

2007

Je voudrais tout d’abord remercier du fond du cœur Mme Joëlle Milquet députée bruxelloise, ancienne Ministre de l’Intérieur Belge et le Député fédéral Francis Delpérée, qui ont eu l’initiative heureuse de cette rencontre. Ils m’offrent l’opportunité et l’honneur de m’adresser aux membres du parlement bruxellois et à toutes les éminentes personnalités ici présentes sur un sujet qui est au cœur des valeurs qui fondent le Partenariat entre l’Union Européenne et les Pays ACP.

En effet, l’Accord de Cotonou, qui fixe le cadre et les objectifs de ce partenariat, est sous tendu par le système des valeurs universelles constitutives de la démocratie. Il repose aussi sur la bonne gouvernance ainsi définie, en son article 9 je cite: « Dans le cadre d’un environnement politique et institutionnel respectueux des droits de l’homme, des principes démocratiques et de l’état de droit, la bonne gestion des affaires publiques se définit comme la gestion transparente et responsable des ressources humaines, naturelles, économiques et financières en vue du développement équitable et durable ».

Cet Accord a eu le mérite de contractualiser le respect par les États ACP des valeurs ci-dessus rappelées et, en cas de violations, la mise en œuvre d’actions allant de l’ouverture d’un dialogue à la suspension de la coopération financière avec le pays défaillant.

Ainsi, tout pays bénéficiaire de l’aide de l’Union Européenne doit respecter les principes qui concourent à la bonne gouvernance, telles que la transparence, la responsabilité, l’obligation de rendre compte, l’équité, la non-discrimination et l’efficacité. Autant de principes qui permettent non seulement d’empêcher les abus dans l’exercice de la puissance publique dont est investi l’Etat mais aussi de créer dans un environnement de justice de paix les conditions d’un développement inclusif et durable.

C’est pourquoi, j’accorde le plus grand intérêt à votre légitime interrogation en tant qu’élus des contribuables européens sur l’état de la démocratie et de la gouvernance dans mon pays, la Guinée, État signataire de la convention de Cotonou.

Mesdames et messieurs,

Je voudrais y répondre en organisant mon intervention autour de cinq préoccupations qui me paraissent fondamentales lorsqu’on questionne la démocratie et la gouvernance: la première porte sur la légitimité du pouvoir en place, la deuxième concerne la sécurité et la justice, la troisième touche la corruption, la quatrième est relative à l’état de la pauvreté dans le pays et la cinquième préoccupation est liée à l’immigration.

Mesdames et messieurs,

De la légitimité du pouvoir en place

Le Président actuel de la Guinée a une légitimité contestable. Il tient son pouvoir d’élections qui n’ont été ni transparentes ni justes.

En effet, en 2010, Alpha Condé obtenait 18% au premier tour contre 44% des suffrages que je réunissais. Au second tour, organisé après 4 mois et demi, alors que le délai constitutionnel est de 2 semaines, il réussissait à se faire déclarer vainqueur. J’étais fondé à refuser les résultats qui étaient loin de refléter la vérité des urnes, comme l’avouèrent plus tard ceux qui ont organisé le hold-up. Mais face à la détérioration profonde des liens sociaux dans le pays en raison d’une campagne fortement ethnicisée au point de faire craindre une guerre civile, je pris la décision d’accepter les résultats proclamés.

Ma décision tenait compte aussi du fait que les élections législatives devaient se tenir immédiatement après la présidentielle soit au cours du premier trimestre de 2011 et qu’en toute hypothèse, les chances, pour moi, de les remporter, pour peu qu’elles soient transparentes, étaient évidentes. Mais le nouveau pouvoir connaissant les conditions fumeuses entourant sa victoire, refusa de les organiser au prétexte que le fichier sur lequel il fut pourtant élu devait être revu.

Face à cette intransigeance, l’opposition dû se mobiliser. L’ampleur des manifestations, leur durée et la ferme détermination qui les sous tendait et ce, malgré une répression sanglante, devaient obliger la communauté internationale à s’impliquer pour trouver un consensus. C’est sa médiation qui permit d’obtenir l’Accord politique inter-guinéen du 3 juillet 2013 et la tenue des élections législatives le 28 Septembre de la même année, c’est à dire près de 3 ans après la date prévue par la constitution.

Mesdames et messieurs,

Les élections qui ont eu lieu ont été entachées d’irrégularités : tripatouillage du fichier électoral, cartographie des bureaux de votes défavorables à l’opposition, rétention des cartes d’électeurs dans les zones réputées acquises à l’opposition, bourrages d’urnes, falsification des PV, utilisation des moyens de l’Etat par le Parti au pouvoir, intervention des autorités administratives et des forces de défense et de sécurité, expulsion des délégués de l’opposition des bureaux de vote et des commissions de centralisation de résultats.

Toutes ces irrégularités ont été mentionnées dans le rapport de la Mission d’Observation Electorale de l’Union Européenne. Elles devaient permettre au parti au pouvoir d’obtenir la majorité qualifiée de 78 députés. Mais la présence et la vigilance des observateurs de l’Union européenne ont aidé à limiter les dégâts. Ainsi, le Parti présidentiel n’a obtenu que 53 députés sur 114 contre 51 pour l’opposition dont 37 pour l’UFDG, mon parti.

Les résultats de ces élections législatives furent une alerte pour Alpha Condé sur l’état de l’opinion nationale concernant sa gouvernance. En raison de la déception de la population sur le changement promis, tout indiquait que le parti au pouvoir pouvait perdre les élections communales si elles étaient organisées dans le premier trimestre de 2014 comment le prévoyait l’Accord politique du 3 juillet 2013. Ce qui serait un risque majeur pour le pouvoir : celui de perdre des auxiliaires précieux pour la fraude et la propagande que sont les maires, les chefs de quartiers et districts qui sont nommés par l’Etat et qui les choisit généralement parmi les militants les plus zélés du Parti Présidentiel. Organiser les élections communales et les perdre déstabiliserait l’échafaudage de fraude préparé pour la présidentielle de 2015. C’est pourquoi les communales ne seront pas organisées en 2014. Elles ne le seront pas davantage en 2015.

L’élection présidentielle qui s’est tenue en Octobre 2015 a connu les mêmes irrégularités, avec une ampleur plus grande, que les législatives de 2013. Et le Président sortant sera déclaré vainqueur dès le premier tour comme le voulait son slogan de campagne, « un coup KO ». Nous avons contesté cette victoire qui ressort d’une fraude électorale généralisée et d’une utilisation massive des deniers publics et des moyens de l’Etat. Comme l’a confirmé d’ailleurs le rapport de la mission d’observation électorale de l’Union Européenne (MOEUE) que je cite : « Il est à noter que la MOE UE a observé, à plusieurs reprises, l’utilisation de biens et moyens de l’État à des fins de campagne et la participation active d’agents publics de l’État (gouverneurs, préfets, représentants des délégations spéciales) aux activités de campagne du RPG dans un nombre significatif de préfectures du pays, en violation du Code électoral. »

Quant à la fraude, elle s’est exprimée par la conception d’un fichier électoral sur mesure qui a été artificiellement gonflée par un recensement massif de mineurs dans les fiefs du pouvoir dénaturant ainsi les équilibres régionaux qui existaient jusqu’alors. En effet, le ratio corps électoral par rapport à la population totale est passé à 55% en 2015 contre moins de 40% en 2010. Dans certaines circonscriptions favorables au parti au pouvoir, ce ratio dépasse 90%. Pour rappel, dans les pays de la sous-région, ce ratio se situe, en moyenne, à 35%.

A cela il faut ajouter l’utilisation avec moins de finesse des techniques de fraude habituelles: rétention des cartes d’électeurs, exclusion et parfois emprisonnement des délégués et même des assesseurs de l’opposition pour favoriser la falsification des PV de bureaux de vote et des commissions centralisation. Ainsi dans les fiefs du parti présidentiel, on enregistra des scores soviétiques de 97% de participation et de votes favorables au candidat sortant.

La mission d’observation Electorale de l’Union Européenne a repris, dans son rapport, les griefs de l’opposition, confirmant ainsi que le processus électoral était jonché de fraudes afin de permettre l’élection de M. Alpha Condé dès le premier tour. Malheureusement, non seulement ces dénonciations n’ont pas eu les condamnations attendues de la communauté internationale mais les recommandations formulées à l’effet d’améliorer le processus électoral sont restées lettre morte.

Mesdames et messieurs,

Il faut noter que les différents Accords politiques de 2013, 2014, 2015 comme le dernier en date, celui du 12 Octobre 2016, ont tous reconnu le manque de sincérité du fichier électoral et la nécessité d’en purger les anomalies. Le gouvernement s’engageait également à organiser les élections locales, à identifier et poursuivre les auteurs des exactions lors des manifestations pacifiques de l’opposition, indemniser les victimes des violences subies à l’occasion de ces manifestations, à respecter le principe constitutionnel de neutralité du service public et l’accès équitable des Partis politiques aux médias d’état.

Mais, avec la même constance, le gouvernement s’est employé à obstruer toute action permettant de mette un terme à l’impunité ou de corriger les irrégularités qui lui font gagner les élections. Tout comme il s’est refusé d’organiser les élections locales et d’appliquer les autres points des accords politiques.

Mesdames et messieurs,

Avant de décider à participer au dialogue qui a débouché sur l’Accord du 12 0ctobre 2016, quatrième Accord politique portant sur les mêmes revendications, l’opposition guinéenne a demandé et obtenu que le Président de la République s’engage, par une déclaration solennelle devant la nation, à appliquer et à faire appliquer toutes les décisions qui ressortiraient de ce dialogue. Malgré cette déclaration, sept mois après la signature de l’Accord, force est de reconnaitre qu’aucune décision n’a encore été appliquée. C’est ainsi que les communales qui devaient se tenir en Février 2017, comme convenu dans l’Accord, n’ont pas encore été organisées et nul ne sait aujourd’hui à quelle date elles auront lieu.

Je voudrais mentionner que les pays de la région ouest africaine, qui sont en situation post conflit (Côte d’Ivoire, Libéria, Sierra Leone) ou en conflit (Mali) et dont les Présidents ont accédé au pouvoir après le Président guinéen, ont tous organisé à bonne date leurs échéances électorales : locales, législatives et présidentielle. La Gambie, qui vient de connaitre une alternance politique agitée, a organisé les élections de son parlement moins de 3 mois après l’investiture officielle de son nouveau Président.

L’organisation des élections ne doit pas dépendre des humeurs du Président de la république ou même d’Accords politiques. Elle ressort des règles de droit : les périodes et délais sont impartis par la constitution, le code électoral et le code des collectivités locales.

En retardant l’organisation des élections législatives qui ne se sont tenues que 3 ans après le délai constitutionnel et en refusant encore la tenue des élections locales alors que le mandat des élus locaux est échu depuis 2010, le Pouvoir actuel viole les lois nationales et le protocole de la Communauté des Etats De l’Afrique de l’Ouest –CEDEAO- sur la Démocratie et la Gouvernance dont l’article 2 dispose je cite que « les élections à tous les niveaux doivent avoir lieu aux dates et périodes fixées par la constitution et les lois électorales. ». Il met ainsi en cause sa propre légitimité.

Mesdames et messieurs,

La légitimité contestable du pouvoir actuel se trouve renforcée par la récurrence de la violation des lois de la République et l’obstruction du fonctionnement normal des Institutions. En effet, le Président de la République, depuis son entrée en fonction en 2010, est auteur de manquements à la constitution et aux autres lois de la République. Je citerai tout particulièrement le refus de cesser toutes responsabilités au sein de son parti politique conformément à l’article 38 de la Constitution et le refus d’installer la Haute Cour de Justice qui est chargée de juger le Président de la République pour haute trahison et le Premier ministre et les autres membres du Gouvernement pour crimes et délits, conformément aux articles 117 à 120 de la Constitution.

En ce qui concerne la Cour des Comptes, qui n’a été installée qu’en 2015. Le Président de cette Institution n’est autre que le ministre des finances ordonnateur des dépenses publiques durant les trois années qui ont précédé sa nomination à ce poste par le Président de la République. Cette situation inédite met en cause le principe d’impartialité du Président de la Cour des comptes dans sa mission de contrôle à posteriori des finances publiques. Elle ôte tout crédit à la certification des comptes de l’Etat et de ses démembrements. Pour l’opinion guinéenne, cette nomination est illégitime et immorale et vise à couvrir les détournements des deniers publics et à garantir l’impunité à leurs auteurs.

En plus, le peuple de Guinée a été marqué par des pratiques de discrimination qu’il n’avait jamais connues auparavant. Il s’agit notamment des discours de stigmatisation tenus par des responsables du régime et au premier rang le Président de la République, des nominations dans l’administration privilégiant de façon ostentatoire le clan d’Alpha Condé sans aucun critère objectif d’expérience ou de compétence, de l’octroi de marchés d’Etat de gré à gré aux seules entreprises proches du pouvoir.

Depuis 2010, l’exercice des libertés publiques, pourtant constitutionnellement garanties, donne lieu à une répression systématique des manifestations pacifiques de l’opposition. Celle-ci a payé un lourd tribut avec plus de 80 morts, tués à bout portant par les forces de l’ordre, sans compter des dizaines d’handicapés, de centaines de blessés graves, d’importants dégâts matériels. A ce jour, aucune sanction judiciaire ou administrative n’a été prononcée contre les auteurs de ces crimes et délits qui bénéficient d’une totale impunité.

Mesdames et messieurs,

De la sécurité

Le gouvernement guinéen a l’obligation d’assurer la sécurité des biens et des personnes. Mais malgré des reformes dans ce secteur, les forces de défense et de sécurité sont encore instrumentalisées par le régime au lieu d’être au service de la République pour la défense et la protection des citoyens.

Comme le souligne Amnesty International dans son rapport de 2016, des exactions commises par des membres des forces de sécurité sont restées impunies. Les gendarmes et les policiers soupçonnés d’être pénalement responsables du recours à une force excessive contre des manifestants pacifiques, qui a fait plusieurs morts et blessés entre 2011 et 2015, n’ont toujours pas été déférés à la justice, et aucune avancée n’a été enregistrée dans ce sens.

Les forces de sécurité ont également été impliquées dans plusieurs actes d’extorsion, de pots-de-vin, de vol et de banditisme pur et simple, de torture et de viol. Cela fait longtemps que les forces de sécurité font preuve d’un manque de neutralité politique, qui se manifeste dans leur recours à des propos racistes et dans le fait qu’elles ne protègent pas de manière égale les citoyens de toutes les catégories ethniques et politiques, notamment ceux qui soutiennent l’opposition politique.

Mesdames et messieurs,

La situation sécuritaire pour le moins délétère qui prévaut en Guinée est en lien avec l’état de la justice. Corrompue et politisée, cette justice à deux vitesses est complètement asservie au pouvoir. Elle est décriée par la population en raison de l’absence de poursuites judiciaires et de sanctions des auteurs des violences. L’impunité a encouragé la récidive des forfaitures et renforcé le contexte d’insécurité dans le pays. Elle explique la défiance des justiciables dans la justice. Celle-ci, pour être garante de l’état de droit, fondement de la gouvernance démocratique, doit être neutre, impartiale et intègre. Malheureusement, c’est loin d’être le cas.

Mesdames et messieurs,

De la corruption

Les études de la Banque mondiale et d’autres institutions établissent que la corruption est antagoniste au développement. Or la Guinée, sous Alpha Condé, n’a jamais été aussi corrompue. Selon le dernier classement des pays par degré de corruption dans les affaires publiques, elle occupe le 147ème rang. Ce qui constitue un recul par rapport à son rang de 142ème en 2015. Elle est ainsi dans le groupe des 29 pays les plus corrompus du monde.

Lors de sa visite en Guinée en Septembre 2016, la Vice-Présidente de la Banque mondiale pour la région Afrique a lancé un appel aux autorités guinéennes de combattre la corruption qu’elle a qualifié de « cancer ». « La Guinée est l’un des pays qui a un sérieux défi à relever contre la corruption. Tant qu’elle ne combattra pas résolument ce fléau, le développement et la croissance ne seront jamais au rendez-vous » a-t-elle déclaré.

Il est vrai que la corruption a gangrené l’Etat. Des ONG crédible et des médias internationaux sérieux ont fait des révélations scandaleuses éclaboussant le sommet du pouvoir actuel. C’est ainsi qu’il a été établi que Rio Tinto a versé 10,5 millions de dollars à un ami conseiller du Président guinéen. En réaction à cette information, le géant minier sanctionnait plusieurs de ses hauts responsables en lien avec la Guinée confirmant ainsi la révélation

Ce cas de corruption n’est pas isolé. On peut citer plusieurs cas de surfacturation de marchés passés de gré à gré au profit d’entrepreneurs proches du premier responsable de l’Etat. Les marchés de gré à gré ont, en effet, atteint, dans la seule année 2015, l’équivalent de plus d’un milliard de dollars. Un audit mené en 2016, à la demande de la Banque Mondiale, a révélé que 91% des marchés publics attribués en 2015 l’ont été par entente directe en violation du code des marchés.

Malgré la confirmation par cet audit de graves surfacturations et de faits flagrants de corruption, aucune sanction administrative ou judiciaire n’a été prise à l’endroit de ceux qui en sont responsables. Il faut encore une fois déplorer l’impunité qui continue de prévaloir dans la gestion de notre pays et la récidive qu’elle encourage.

Mesdames et messieurs, ​

Permettez-moi de saisir la présente opportunité pour dénoncer l’affairisme autour de la réalisation des barrages hydroélectriques en Guinée. Leur nécessité n’est pas à discuter en raison notamment du fait qu’ils sont source d’énergie renouvelable et participe à la préservation climatique mondiale sans compter les effets économiques qui dérivent de l’amélioration de l’offre énergétique. Mais cela ne doit pas être l’occasion d’enrichissement privé par une surfacturation éhontée des contrats.

En effet, le contrat pour la réalisation du barrage de Kaleta a été attribué sans appel d’offres et la surfacturation aurait dépassé les 100 millions de dollars. Le barrage de Souapiti est en cours de réalisation au coût de 1,5 milliard avec des entreprises choisies par entente directe, sans appel à la concurrence. Etant moi-même parlementaire, je puis dire que ce prêt et l’étude qui le justifierait n’ont pas été soumis à l’assemblée nationale comme l’exigent nos textes législatifs en la matière.

Ces marchés opaques renferment des commissions qui se chiffrent à des centaines de millions de dollars qui vont accroître injustement le coût de l’énergie et pénaliser la compétitivité de l’économie. Ces montants qui vont dans des poches privées auraient pu servir à construire des hôpitaux, des écoles et universités, des routes. Les principaux usagers de ces infrastructures sont les pauvres. Lorsqu’elles ne sont pas réalisées à cause de la corruption, ce sont les pauvres qui payent, parfois de leur vie. La corruption vole les pauvres.

En effet, comme le disait l’ancien Président de la Banque mondiale James Wolfensohn, je cite « La corruption détourne au profit des riches les ressources destinées aux pauvres, alourdit les charges des entreprises, fausse la répartition des dépenses publiques et décourage les investisseurs étrangers… c’est un obstacle majeur à un développement sain et équitable ».

Le refus systématique de la majorité gouvernementale de mettre en place la haute Cour de Justice et de programmer toute enquête parlementaire sur des faits de corruption et de détournements, malgré plusieurs initiatives de l’opposition, favorise l’impunité et encourage la corruption et les détournements des deniers publics.

Mesdames et messieurs,

De l’état de la pauvreté

Depuis 2010, la Guinée s’est davantage appauvri et les conditions de vie de la population se sont considérablement dégradées. Le taux de croissance économique qui a été 3% en 2011 et 2012 s’est contracté à 2,3% en 2013 C’est un résultat bien médiocre par rapport à la moyenne en Afrique qui s’établissait à 5%. Il est encore plus dérisoire comparée aux réalisations enregistrées par les pays voisins au cours de cette année 2013 : 14,8% en Sierra Leone, 9% en Côte d’Ivoire, 7% au Libéria. En 2014, cette croissance a chuté à 1,1% avant d’être quasi nulle en 2015.

Sur la période, avec un taux moyen de croissance économique inférieur à celui de la population qui croit à 3% par an, les conditions de vie se sont plutôt détériorées. En effet, comme il ressort du classement 2016 des pays dans l’Indice de développement humain du PNUD, la Guinée occupe le 49ème rang sur 54 pays africains et le 183ème rang sur 188 pays du monde. Depuis 2010, année où elle se classait au 156ème rang mondial, sa position n’a cessé de décliner. Ainsi, l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’éducation et le niveau de vie que mesure cet indice composite ont continué à baisser au cours de la période concernée.

Il est vrai que la propagation du virus Ebola apparue en Décembre 2013 a conduit à une crise sanitaire qui a fait des milliers de victimes, affecté l’économie et aggravé la pauvreté. Mais elle n’est pas la seule cause, et loin s’en faut, de la détérioration des conditions de vie de la population. La cause majeure de l’incapacité du gouvernement à créer de la richesse et satisfaire les attentes sociales est, en plus de la corruption endémique, le faible degré de liberté économique dans le pays. En effet, la liberté économique améliore de nombreux aspects du développement humain. Elle est fortement corrélée avec le niveau des investissements, l’amélioration des indicateurs socioéconomiques et la réduction de la pauvreté. Ainsi, la Guinée n’est pas en lien avec le progrès parce que la liberté économique est encore bridée dans le pays. C’est ce qui ressort de l’édition 2017 de l’indice de liberté économique publié par Heritage Foundation et le Wall Street Journal qui classe la Guinée au 45ème rang sur 51 pays africains et au 169ème rang sur 180 pays du monde. Elle est dans le lot des 6 derniers pays africains ou des 12 derniers pays du monde où la liberté économique s’exerce le plus faiblement. L’appauvrissement de la Guinée en est la résultante.

Mesdames et messieurs,

Je voudrais illustrer cette situation en évoquant la mauvaise gouvernance économique du secteur minier qui est stratégique pour le développement industriel de notre pays. En effet, outre les déboires enregistrés avec les multinationales du secteur comme Rio Tinto, Vale et BHP Billiton, le gouvernement continue de signer des contrats miniers dont l’ambition se limite à la simple extraction et à l’exportation des minerais sans se soucier de leur transformation sur place et les effets néfastes sur l’environnement.

En effet, sous l’effet de la corruption tous les projets de construction d’usines d’alumine et d’aluminium ont été abandonnés, privant ainsi le pays de dizaines de milliers d’emplois, alors qu’il en a cruellement besoin. Au même moment l’Indonésie et la Malaisie, pour créer plus de valeur ajoutée et d’emplois pour leurs économies, décidaient de mettre un terme à l’exportation de la bauxite brute en faveur de sa transformation sur place.

Il applique en outre un traitement asymétrique des opérateurs sur la base de quantités produites, en privilégiant les gros volumes. C’est ainsi que la Société minière de bauxite, la SMB, qui exporte 30 millions de tonnes par an ne paie au budget de l’Etat au titre des redevances et des impôts que moins de 4 dollars la tonne de bauxite exportée contre 11 dollars pour la Compagnie de Bauxite de Guinée qui exporte 15 millions de tonnes par an.

Mesdames et messieurs,

De l’Immigration

L’immigration est aujourd’hui l’une des préoccupations majeures des peuples occidentaux, notamment européens. Malheureusement, leurs dirigeants ne semblent pas trouver les solutions qu’il faut pour la contrôler efficacement. Les conséquences, c’est la montée de l’extrême droite partout à travers le continent.

Mais avant de vous proposer une quelconque solution, ne devions-nous pas nous demander pourquoi ces hommes et femmes choisissent d’abandonner leurs terres natales et leurs proches pour chercher à trouver refuge ailleurs en risquant leurs vies ?

Permettez-moi de vous dire, en tant qu’acteur politique africain de premier plan, que ces hommes et ces femmes ne fuient pas que l’extrême pauvreté. Certes, celle-ci fait partie des facteurs qui l’expliquent. Mais, comme on l’a déjà indiqué, cette pauvreté n’est pas une fatalité : elle est très souvent le résultat d’une mauvaise gouvernance qui se traduit par l’accaparement des ressources publiques par l’élite dirigeante à travers la corruption et le détournement impunis des deniers publics. A cela, il faut ajouter parmi les facteurs explicatifs majeurs de l’immigration, la restriction des libertés, la violation des droits humains, l’injustice et l’impunité auxquelles la jeunesse a de plus en plus du mal à se soumettre. Lorsque cette jeunesse revendique, même par des moyens légaux, son besoin de démocratie, de liberté, de justice, d’emploi ou d’électricité, elle s’expose à une répression sanglante et meurtrière des pouvoirs politiques qui, parfois et très malheureusement, bénéficient du soutien de certains gouvernements occidentaux. Cette jeunesse désœuvrée désorientée devient alors une proie facile pour les démons de l’immigration clandestine et même du terrorisme. C’est aujourd’hui le lot de beaucoup de jeunes africains qui faute, de liberté d’emplois et de perspective, prennent au risque de leurs vies, le chemin du désert et de la méditerranée, privant ainsi l’économie de leurs propres pays d’une importante force de travail nécessaire au développement.

À mon humble avis, le meilleur moyen de lutter efficacement contre l’immigration clandestine est de traiter le mal à la racine en soutenant la bonne gouvernance.

Il s’agit pour l’Union Européenne, d’exiger de ses partenaires africains le respect des dispositions de l’Accord de Cotonou dont ils sont signataires.

L’Europe doit conditionner la coopération et l’aide au développement au respect strict des droits de l’homme et des règles et principes de la démocratie et de l’Etat de Droit. Sans ces exigences en direction notamment des pays de l’Afrique subsaharienne, l’Europe pourra difficilement contrôler, dans le respect des droits humains, l’immigration venant de cette région. En effet, seules des politiques publiques fondées sur le respect de ces valeurs peuvent améliorer le climat des affaires, rassurer investisseurs et créanciers et favoriser l’emploi et l’épanouissement sur place d’une jeunesse de plus en plus nombreuse et exigeante.

Mesdames et messieurs,

Pour conclure, je peux affirmer que la Guinée n’est pas sur le chemin vertueux de la gouvernance démocratique. Le Président Alpha Condé, mal assuré de son élection en 2010, n’a organisé les législatives qu’après 3 ans de retard sur la date légale et sur contrainte de son opposition appuyée par la communauté internationale, tandis que les élections locales n’ont toujours pas eu lieu. Ces manquements aux échéances électorales qui ressortent de la loi ont affaibli l’autorité de son pouvoir et semer la discorde dans le pays. Sa réélection en 2015 fortement contestée ne l’aide pas à combler son déficit de légitimité qui est, en dernier ressort, l’enjeu de la gouvernance démocratique en Guinée.

En effet, comment défendre l’idée d’une action publique si celle qui existe tient son autorité d’élections non crédibles ? Si elle est jugée corrompue, conduite en faveur d’un clan, sans réel souci du bien commun ?

L’efficacité de la gouvernance démocratique et sa légitimité se renforcent et se dégradent mutuellement. Cette efficacité s’affaiblit chaque fois que la loi est violée et que la régularité des élections n’est pas respectée. C’est aussi le cas lorsque les dirigeants refusent de quitter le pouvoir à l’issue de leurs mandats et exposent leurs pays à l’instabilité et à la discorde.

Mesdames et messieurs,

Contrairement à ce que semble défendre certains dirigeants africains comme Alpha Condé, il n’y a pas une voie africaine de la démocratie qui serait celle qui permet de retarder et de truquer les élections ou de déverrouiller le verrou constitutionnel de la limitation des mandats. Le socle de la gouvernance démocratique, c’est l’état de droit. C’est ce qui permettra d’avoir des gouvernants légitimes et vertueux, capables d’impulser une croissance forte et inclusive pour répondre aux attentes exigeantes de la jeunesse.

Je vous remercie de votre attention »




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