Particulièrement visible de l’Afrique, le jeu de cache-cache auquel se livreront le soleil et la lune, le 3 novembre, inspire déjà les marchands ambulants. Et les partisans d’un vacarme autorisé…
Pour une fois, l’Afrique sera aux premières loges d’un spectacle à dimension planétaire. D’habitude, les Africains découvrent le premier opus d’un succès cinématographique quand le troisième épisode est déjà sur les écrans du Nord et le quatrième en tournage. Mais il y a une justice céleste. Cette fois, le spectacle se regardera sur une surface plus grande que le grand écran. C’est le ciel qui assurera aux peuples du Sud une prestation des plus rares et des plus gratuites. Le phénomène ne sera visible que du sud-est de l’Amérique du Nord, du Nord de l’Amérique du Sud, du Sud de l’Europe, du Moyen-Orient et d’une grande partie de l’Afrique. Epargné, en pleine journée, par les effets cruels du soleil pyromane, le continent noir sera bien heureux d’être plongé dans les ténèbres à l’heure de la sieste dominicale.
Ce phénomène qui fait déjà parler dans les maquis est l’éclipse solaire qui, dimanche, plongera les Africains dans une “nuit” en plein jour. La lune se retrouvera devant le soleil, occultant partiellement puis presque totalement l’image de l’astre roi, entre 13h37 T.U. et 14h 45. Ce type d’éclipse rare est dit “hybride” : au lieu de recouvrir la totalité du soleil, la lune laissera apparaître un anneau solaire très fin.
Surf et marketing
Les chantres du marketing de tout poil ne sont s’y pas trompé : il faut surfer sur l’événement. Depuis quelques jours, un opérateur téléphonique burkinabè annonce une promotion à grand renfort de publicité : “1 kit acheté = 1 paire de lunettes offerte”. Dans les rues africaines, les vendeurs ambulants proposent toutes de sortes de binocles qui vont des “lorgnons” 3D d’occasion à des masques de soudeurs, en passant par des lunettes de soleil déjà inefficaces en temps normal. Et il y a la dramaturgie du jour “J”.
Profitant que ce 3 novembre est un dimanche, des “maquis” proposent des programmes sur mesure comme si la Saint-Sylvestre avait été avancée de deux mois. Ici ou là, des restaurants organisent des “Fêtes de l’éclipse” qui pourraient ressembler à s’y méprendre à une cérémonie de suicide collectif si la divinité louée par cette secte improvisée n’était pas le dieu Râ justement éludé. Au programme de ces fêtes exceptionnelles : observation collective de l’éclipse -spectacle encore moins cher que les prestations semi-live des habituels rastamen fermentés -, projection de clips inédits, exposition de fresques, jeux de pistes ou encore buffet inédit. En espérant que les clients ne… s’éclipsent pas avant de payer l’addition.
Si certains s’en réjouissent, le rendez-vous du soleil et de la lune pourrait virer au cauchemar pour d’autres.
Si certains s’en réjouissent, le rendez-vous du soleil et de la lune pourrait virer au cauchemar pour d’autres. L’observation prolongée du soleil provoque des lésions oculaires irréversibles. Dans plusieurs pays africains, les autorités se sont saisies de l’affaire. Au Bénin, par exemple, le ministre béninois de la Santé, Dorothée Akoko Kindé Gazard, a invité ses compatriotes à éviter de regarder à l’œil nu le phénomène de ce 3 novembre. Elle a indiqué que son département avait pris des mesures pour garantir la “sécurité ophtalmique”.
Les brûlures de l’âme
Faudrait-il craindre davantage les brûlures de l’âme que celles de la rétine ‘ Dans la littérature, le continent est réputé pour faire preuve de consternation, voire de superstition, devant de telles représentations du ciel. Au XVIIIe siècle, dans “Fragments d’un voyage en Afrique occidentale”, le géographe français Sylvain Meinrad Xavier de Golbéry écrivait que les “Nègres” voyaient dans les éclipses un combat entre un grand serpent et le soleil ou la lune. Avec la condescendance d’un Européen qui oublie qu’il jette du sel sur son épaule pour conjurer le mauvais sort, il décrit des Africains qui, à la moindre éclipse, “se mettent en prières et font des offrandes et des sacrifices à leurs fétiches”.
“Toutes les femmes sont en lamentation”, poursuit-il, “les hommes frappent sur des vases de fer ou d’airain (…), poussent des cris horribles, attachent plusieurs chiens ensemble aux pieds des arbres et les accablent de coups de fouets”. La cacophonie produite était destinée à effaroucher le serpent et à lui faire lâcher prise. Sauveur de soleil, ces Africains d’il y a trois siècles seraient donc plus valeureux que couards.
D’ailleurs, l’auteur reconnaîtra que la superstition en question semble avoir été importée de l’Inde. Et si cette détermination à faire du vacarme à chaque éclipse existe toujours dans certaines contrées africaines, c’est moins par croyance anachronique que par goût prononcé pour la fête. Ce 3 novembre encore, en Afrique de l’Ouest, des enfants de quartiers populaires devraient commémorer d’anciennes croyances en martyrisant des casseroles et en fredonnant “le chat a attrapé la lune, laisse-la partir”. Un serpent est bien plus dangereux qu’un chat. Bien moins que les effets de l’éclipse sur la rétine.
Jeuneafrique