Le message des Évêques de la conférence épiscopale de Guinée au CNRD

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Nous, les évêques de la Conférence épiscopale de Guinée (CEG), au terme de la seconde session ordinaire de l’année pastorale 2023-2024, tenue à Conakry du 28 Avril au 03 Mai 2024, venons par la présente vous adresser ce message de réconfort, d’encouragement et de d’interpellation. Portant avec vous les soucis et les préoccupations actuels de la communauté nationale, à cette période encore peu rassurante de notre histoire, nous faisons nôtre avec vous cette parole de Dieu, qui est notre véritable boussole et l’étoile qui guida autrefois les rois mages :

« Voici que Dieu aura sa demeure avec vous, vous serez son peuple et lui sera votre Dieu. Il essuiera toute larme de vos yeux. De mort, de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus car l’ancien monde s’en est allé. Voici que je fais l’univers nouveau, un ciel nouveau et une terre nouvelle avec alliance et des cœurs nouveaux au fond desquels j’écrirai ma loi » (Apocalypse 21,3-5 ; Jérémie 31, 31-

34). Quel est le contexte général de notre pays ?

1- Aperçu et analyse du contexte général dans notre pays.

Il n’est un secret pour personne que le climat actuel dans notre pays est plus à la minorité qu’à l’exaltation, il est plus fait d’interrogations et de doute que d’espoir et de lumière.

Il n’en demeure pas moins que l’espérance reste cachée sous la cendre comme dans les récits des apparitions du Christ Ressuscité qui nous sont rapportés dans les Evangiles et les Actes des Apôtres où Jésus n’est pas reconnu de prime abord.

Mais quand il parle aux disciples et aux Apôtres ceux-ci ont le cœur chaud et ressentent quelque chose de particulier. Nous aussi en ces instants de doute et de déception, nous ne doutons pas que Dieu reste présent dans tous les événements que nous vivons.

Parallèlement et concomitamment à l’actualité dont les chefs d’orchestre sont les autorités et les gouvernants, nous signalons cependant comme signe d’un laisser-aller ou d’un délaissement, la montée de l’insécurité dans les villes, le nombre d’accidents croissant sur les routes, la fréquence des incendies à Conakry et dans les villes et villages, et une agression permanente de notre mère la terre et de notre environnement.

On enregistre en effet dans plusieurs villes et plus particulièrement en Haute-Guinée des attaques à mains armées en pleine journée et durant les nuits. Sur les routes, il ne se passe pas une semaine sans qu’on ne signale des accidents graves et mortels de cars, bus et minibus faisant des dizaines de morts et des dégâts matériels importants. Ces accidents sont généralement dus à des excès de vitesse, au manque d’entretien des véhicules et à l’imprudence des conducteurs. Dans le même temps, nos campagnes sont confrontées à des feux de brousse qui détruisent le couvert végétal, la faune et la flore ainsi que les substances nutritives du sol. Ces feux de brousse ainsi que la coupe désordonnée du bois ont changé nos savanes et forêts en désert, et tout semble aller « à volo » et sans gouvernail dans notre pays. Qui donne l’impression de ne pas être gouverné avec rigueur et avec des directives sûres.

Dans ce contexte, toutes ces difficultés sont aggravées par un manque de visibilité dans l’orientation, le programme et le calendrier de la transition.

En effet, au témoignage de tous, l’enthousiasme et le flot d’espérance qui ont accueilli l’avènement du CNRD le 5 septembre 2021 et qui se sont exprimés spontanément à la célébration du 02 Octobre 2021 dans les rues et sur les places publiques ont aujourd’hui cédé la place au doute, aux questionnements, voire à la déception. Et les faits qui ont conduit à cette extinction de l’espoir et de la joie ont eu et ont encore pour nom: les coupures d’internet du 24 novembre 2023 au 23 février 2024, la suppression de plusieurs médias sur le bouquet canal, le brouillage des ondes de certains, l’emprisonnement de certains journalistes, etc. Plus que des délestages, il règne actuellement une véritable pénurie d’électricité et d’eau courante dans la capitale Conakry et dans d’autres villes de l’intérieur, sans compter une montée fulgurante du prix des denrées de première nécessité : riz, huile, sucre, oignons, etc.

Et l’ensemble de toutes ces difficultés est aggravé par un manque de visibilité quant aux objectifs, au contenu et au calendrier de la transition pour laquelle on parle de glissement jusqu’en 2025 et de recherche de cap certainement pour2026.

Cela va nous amener à près de cinq ans de transition, ce qui équivaut à un mandat. Et toute cette période de transition est caractérisée par une aggravation de la situation des millions des jeunes diplômés sans emploi qui, comme on dit en Guinée, « se débroulliaient » dans les ateliers, les salons de coiffure, les garages, etc. Et le manque d’électricité avec les restrictions de l’espace médiatique vient exposer ces jeunes qui ont du mal à joindre les deux bouts a une précarité et une misère économique plus grande encore.

2- L’espoir est permis si nous acceptons de nous remettre en cause et de nous convertir tous.

Malgré ce tableau aussi sombre, nous ne perdons cependant pas l’espoir.

L’espoir est permis d’abord à la vue des efforts fournis par les autorités qui gouvernent le pays pour désenclaver les quartiers et les localités difficiles d’accès. Nous reconnaissons également les efforts des dirigeants qui, malgré la situation que l’on connait du dépôt des hydrocarbures, sont parvenus à maintenir une desserte régulière des dépôts et des stations d’essence ou de gasoil.

Cependant, comme indiqué plus haut, avec le manque d’électricité, la hausse du prix des denrées alimentaires et le chômage chronique de la majorité des jeunes diplômés, nous assistons ces derniers temps à des manifestations de rue et à des dérapages ou bavures des forces l’ordre et de sécurité. Chaque manifestation ou grève est soldée par un ou des morts des jeunes. N’y aurait-il aucune possibilité de maintenir l’ordre dans notre pays sans utiliser des armes létales ? Ailleurs la mort d’un manifestant par balle perdue causerait la mort du ministre de la sécurité.

Ces remue-ménages ne sont-ils pas des cris de révolte des populations qui expriment leur déception ? Ces manifestations de rue et ces pneus enflammés ne sont-ils pas l’expression des frustrations qui risquent d’assombrir le climat général du vivre-ensemble et d’emporter les maigres acquis dont nous avons hérité de nos prédécesseurs ? Un certain silence ou mutisme de nos autorités face à ces violences qui couvent et qui inquiètent les citoyens est source d’angoisse et de peur chez tous.

L’espoir d’une plus grande ouverture et capacité d’écoute dans le dialogue déjà entamé, peut nous conduire à nous retrouver tous autour d’une table et à nous entendre pour éviter d’avoir à regretter des situations déplorables. L’espoir d’une plus grande participation de toutes les forces vives de la nation à la gestion de la crise actuelle, peut nous apporter des solutions viables aux questions de sécurité, d’économie et de justice qui devrait être la boussole de la transition comme souhaité au départ. L’espoir d’une plus grande transparence dans l’identification des causes réelles de toute cette crise ainsi que la recherche concertée des solutions qui s’imposent à tous devraient nous conduire à un examen de conscience individuel et collectif et à un changement de mentalité pour sortir la Guinée de la corruption, de la gabegie et du laisser-aller.

Nous en appelons aux autorités politiques et administratives d’une part et aux partis politiques, aux syndicats, à la société civile et à toutes les forces vives d’autre part pour que chacun mette « balle à terre », pour que chacun calme les tensions au lieu de souffler sur les braises. Ceci exige qu’ayant une seule Guinée comme héritage commun à nous tous, nous nous mettions autour d’une table pour discuter, dialoguer et surtout nous retrouver entre frères et sœurs des différentes régions du pays sans laisser personne ni en exilé ni dans une situation d’empêchement morale ou physique. Ne dit-on pas que la Guinée est une seule famille et que les guinéens forment une seule maison ?

Nous invitons autorités politiques et administratives, forces de l’ordre, de sécurité et de défense, partis politiques et syndicats, avec leurs manifestants à entrer avec nous dans la spiritualité des disciples d’Emmaüs, qui consiste à voir en tout homme, même en celui qui m’est étrange, « l’envoyer de Dieu » et pourquoi pas Dieu lui-même ?

En effet, les disciples d’Emmaüs découragés et déçus d’avoir perdu leur messie, qui a été crucifié et enterré, font dos à Jérusalem, à l’espérance, pour retourner dans leur village et regagner leurs pénates. Mais un inconnu les rejoint sur le chemin de retour, et il leur explique le sens de ces évènements qui sont arrivés à Jérusalem ; ils le reconnaissent une fois qu’ils sont ensemble dans leur maison à Emmaüs et ils partagent le repas avec lui.

Dans la spiritualité de Pâques, nous retenons que l’espoir perdu peut se retrouver en l’homme que nous considérions comme un étranger ou un ennemi (cf. Actes des Apôtres 24, 13-35).

CONCLUSION
Que retenir de tout cela ?
Face à tous ces événements ci-dessus cités et pour lesquels les autorités ont évoqué des raisons de sécurité nationale sans d’autres explications, face à toutes ces frustrations et restrictions sur les libertés individuelles et publiques, nous, Evêques catholiques de Guinée, invitons, tout d’abord les autorités politiques du pays à tenir compte de la nécessité et de l’urgence à clarifier le calendrier de la transition, avec son programme, sa stratégie et ses objectifs. Ceci permettrait à tous de voir clair et de regarder l’avenir avec confiance.

Dès lors nous, vos pasteurs de l’Église catholique de Guinée, chargés de vous apporter la lumière de Dieu, nous Interpellons gouvernants et gouvernés, forces vives et manifestants, autorités religieuses, notables et citoyens à définir un nouveau cadre ou un dialogue réellement inclusif (avec les exilés et ceux qui seraient empêchés physiquement et moralement), sans menace qui pèse sur qui que ce soit. Ceci permettrait de retrouver la paix et d’aller à des élections transparentes, pour discuter avec franchise et sincérité sur les défis actuels de la démocratie en Guinée et sur les perspectives d’avenir de notre pays. Ensuite, Il faudra trouver ensemble, les voies et moyens pour retrouver la paix et redonner le sourire aux guinéens.

Nous, vos pasteurs de l’Église catholique, prenons sur nous la responsabilité de convier tous les guinéens et guinéennes de l’intérieur et de la diaspora, à une grande célébration de demande de pardon (à toutes les victimes des différents régimes qui se sont succédé dans notre pays depuis le temps colonial jusqu’à aujourd’hui), de réconciliation entre nous et avec tous les défunts, et de purification ou conversion pour changer nos mentalités. La date et les modalités de cette grande cérémonie seront à définir par la suite.

Ceci donnerait l’occasion à nous tous de renoncer à nos intérêts personnels et égoïstes, de rechercher une saine éthique de gestion du bien commun, de développer le respect de la personne humaine qui est sacrée, et d’établir durablement une culture de la paix et non une mentalité de l’affrontement et de la méfiance. Ce sont là les gages d’un vrai développement de la Guinée.

Que Dieu bénisse la Guinée et les guinéens, qu’il visite et comble chacun de nous de sa présence, afin que nous soyons capables de changer de mentalité et d’épouser les sentiments qui sont ceux de Dieu à savoir la paix, la justice, la solidarité et l’amour.

Fait à Conakry le 3 mai 2024

Les Evêques de la Conférence Episcopale de Guinée




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