Violences politiques en Guinée: opposition et société civile en appellent à la CPI

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Qualifiant les faits de « crimes contre l’humanité », le Front national de défense de la Constitution dénonce un usage disproportionné de la force lors des manifestations du 22 mars.

Des manifestants se confrontent à l’armée dans les rues de Conakry le 22 mars 2020, jour du référendum constitutionnel organisé en Guinée.
Des manifestants se confrontent à l’armée dans les rues de Conakry le 22 mars 2020, jour du référendum constitutionnel organisé en Guinée. CELLOU BINANI / AFP

En Guinée, en pleine pandémie de Covid-19, le mouvement d’opposition réuni au sein du Front national de défense de la Constitution (FNDC) ainsi que plusieurs organisations internationales de défense des droits humains accusent le pouvoir guinéen de profiter de cette situation exceptionnelle pour renforcer son emprise au détriment des libertés fondamentales.

Mercredi 29 avril, le FNDC, qui réunit un large front de partis politiques et d’organisations de la société civile, a ainsi adressé à la procureure générale de la Cour pénale internationale (CPI) « un signalement de faits susceptibles de revêtir la qualification de crimes contre l’humanité ». Le FNDC dénonce notamment l’usage disproportionné de la force lors des manifestations organisées contre le référendum du 22 mars ouvrant la voie à la candidature du président Alpha Condé pour un troisième mandat à la fin de l’année.

Décrivant un contexte politique « alarmant », les requérants prient la CPI « de bien vouloir donner à la présente toutes les suites qui vous sembleront opportunes, et notamment de diligenter, si les conditions vous semblent réunies – ce qui nous semble être le cas –, un examen préliminaire sur les faits dénoncés ».

« Huis clos »

Compte tenu de la longueur des procédures devant la CPI, plusieurs mois s’écouleront avant que le bureau de la procureure n’adresse une réponse. « Nous en sommes conscients, mais il faut remettre la Guinée au centre de l’attention alors que la pandémie enferme le pays dans un huis clos », dénonce William Bourdon, l’un des avocats rédacteurs du « signalement »« La population guinéenne n’a pas à être prise en otage de la volonté d’Alpha Condé de se maintenir au pouvoir, encore moins au prix de très graves violations des droits fondamentaux, d’une torsion de la Constitution et d’une instrumentalisation de la crise sanitaire pour tenter d’étouffer toute forme d’opposition », ajoute l’avocat.

Le bureau de la procureure dispose déjà d’un dossier guinéen dans ses tiroirs. Celui concernant le massacre du 28 septembre 2009, qui avait coûté la vie à plus de 150 opposants durant la junte militaire de Dadis Camara. Onze années plus tard, l’instruction est close, mais le procès en Guinée des responsables présumés de la tuerie n’a toujours pas eu lieu malgré les promesses du président Alpha Condé. Fort de ce précédent et n’attendant rien de la justice locale, le FNDC estime donc utile de se tourner vers la CPI.

Selon l’opposition, « les autorités alimentent un climat d’impunité au profit des forces de sécurité et encouragent les autorités judiciaires à ne pas enquêter ni poursuivre les agents de l’Etat dans le cadre d’infractions commises au cours d’opérations de maintien de l’ordre ».

Les autorités s’en défendent. « Cette démarche auprès de la CPI relève de la guerre psychologique menée par l’opposition, pas de la justice », estime une source à la présidence guinéenne. Minimisant la portée de la démarche du FNDC qui se limite à « un signalement » de faits présumés, cette source rappelle que « seuls les Etats, le Conseil de sécurité ou le procureur de la CPI peuvent se saisir d’un dossier d’enquête. » « Il y a eu des violences avant et pendant le référendum et les législatives du 22 mars, c’est très regrettable, nous allons enquêter, mais parler de crimes contre l’humanité n’a pas de sens », ajoute-t-elle.

Restriction des libertés

Le même jour, et indépendamment du FNDC, plusieurs organisations de défense de droits humains se sont inquiétées de la situation dans le pays. Human Rights Watch (HRW) accuse ainsi le pouvoir d’intimider et d’arrêter des opposants, dans un contexte de restriction des libertés liées à la maladie et de crise politique persistante. Selon L’ONG, les forces de sécurité se « livrent à des abus sur la population civile, appliquent les mesures d’urgence en vigueur d’une manière qui fragilise la confiance de l’opinion publique dans les autorités »« Les abus perpétrés par les forces de sécurité exacerbent une méfiance déjà profonde, créant un obstacle supplémentaire à la lutte contre le Covid-19 », affirme la chercheuse de HRW Ilaria Allegrozzi.

Ces dernières semaines, les forces de sécurité « ont harcelé, intimidé et procédé à l’arrestation arbitraire de membres et partisans de l’opposition au cours des dernières semaines », affirme HRW. Parmi eux figure Oumar Sylla, alias Foniké Mengué, coordinateur national adjoint de Tournons la page-Guinée1 et responsable de la mobilisation et des antennes du FNDC. Mercredi, la FIDH et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) ont conjointement dénoncé « la détention arbitraire et le harcèlement judiciaire » dont il serait victime.

Enfin, un collectif d’associations françaises (CGT, CCFD-Terre Solidaire, Secours catholique Caritas, Plateforme dette et développement, Tournons la page et la Ligue des droits de l’homme) rappelle que « les mesures de lutte contre le Covid-19 sont difficiles à supporter pour la majorité de la population qui gagne sa vie au jour le jour ». Le collectif demande à la communauté internationale de « ne pas délaisser les enjeux de démocratie et de gouvernance, indispensables pour éviter le drame sanitaire, économique et social qui s’annonce ».

lemonde.fr




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