Mort de Mamoudou Barry: «Il était ce genre d’humaniste à l’âme pure»

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Plus de mille personnes se sont rassemblées vendredi à Rouen pour honorer la mémoire de l’enseignant-chercheur de 31 ans, mort après une agression d’une extrême brutalité.

Mamoudou Barry avait le calme olympien et la diplomatie intarissable de ceux qui ne connaissent jamais le conflit. «Il était ce genre d’humaniste à l’âme pure, dit son ami Nouhoun Doumbia. Je ne l’ai jamais entendu une seule fois hausser la voix. Il se montrait patient et à l’écoute face aux pires détracteurs. Au fond de lui, il avait l’intime conviction que la raison et l’argumentaire pouvaient sauver de tous les maux.» Installé en France depuis 2012, Mamoudou Barry, Guinéen de 31 ans, enseignant-chercheur de droit public à la faculté de Rouen, marié et père d’une fillette de 2 ans, s’apprêtait à retourner dans son pays d’origine pour prêter serment et devenir officiellement avocat. Il est mort le 20 juillet à l’hôpital, après avoir été roué de coups la veille au soir par un homme à Canteleu, dans la banlieue rouennaise.

Ce vendredi-là vers 20 h 30, Mamoudou Barry est en voiture avec sa femme lorsqu’il est invectivé par son agresseur, posté au niveau d’un arrêt de bus. Selon plusieurs témoins, ce dernier aurait pointé son doigt vers le couple avant de lancer : «Vous, les sales Noirs, on va vous niquer [la finale de la Coupe d’Afrique des nations, opposant le Sénégal à l’Algérie, se déroulait le même soir, ndlr].» L’enseignant-chercheur serait alors descendu de sa voiture pour tenter de raisonner l’assaillant. Lequel le frappera violemment à plusieurs reprises, avant que la tête de Mamoudou Barry ne percute le sol. Un autre de ses amis, également guinéen : «Mamoudou était un musulman très pieux. Je suis persuadé qu’il voulait dialoguer avec son agresseur, car il pensait qu’il pourrait le sauver de sa noirceur.»

«Halte au racisme !»

Le 22 juillet, un suspect a été interpellé et placé en garde à vue avant d’être hospitalisé sous contrainte, du fait de son état psychologique. Cet homme de 29 ans, de nationalité française et d’origine turque (et non algérienne comme évoqué à tort par certains), a été pris en charge par l’unité psychiatrique du centre du Rouvray. Le parquet de Rouen a annoncé l’ouverture d’une information judiciaire pour des faits de «violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner […] commis à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie ou une nation, une prétendue race ou religion déterminée».

Une semaine après le drame, plus de mille personnes se sont rassemblées vendredi sur l’esplanade de la faculté de droit de Rouen pour rendre hommage à Mamoudou Barry et soutenir son épouse, son grand frère, sa tante et ses nombreux cousins. «Pour rendre témoignage, aussi, a tenu à déclarer le professeur Eloi Diarra, collègue du défunt. Témoigner de la richesse de la tolérance, de la paix et du vivre ensemble. La discrimination n’a jamais fait partie du mode d’être et de vie de Mamoudou.» Au milieu d’une foule très affectée par l’émotion, traversée par des pleurs et quelques lamentations, des dizaines de pancartes ont été brandies : «Halte au racisme !» ou «Plus jamais ça ! Nous sommes fatigués de compter nos morts partout dans le monde».

Mamoudou Barry est né en 1988 dans le village peul de Boloroyah, sur les hauts plateaux du Fouta-Djalon. Après une scolarité à Mamou, il quitte sa région pour l’université de Sonfonia à Conakry et commence une licence de droit. Major de sa promotion à la fin de ses trois premières années, le jeune étudiant décide de poursuivre son master en France, puis de se lancer dans un doctorat. Le 27 juin, il venait de soutenir sa thèse intitulée «Politiques fiscales et douanières en matière d’investissements étrangers en Afrique francophone : le cas du secteur des ressources naturelles extractives.» Mention très honorable avec les félicitations du jury.

«Je le voyais déjà garde des Sceaux»

Grand disciple de l’écrivain guinéen Tierno Monénembo, Mamoudou Barry partageait avec lui l’amour de son pays et l’inquiétude pour son peuple. «Le sujet de sa thèse illustrait à merveille son état d’esprit. Très critique envers les hommes au pouvoir et les multinationales qui s’engraissent des richesses naturelles de l’Afrique. Très empathique envers ses frères et sœurs, et soucieux de leur avenir face aux magouilles politiques incessantes», résume son ami Fily Traoré, rencontré sur les bancs de l’université de Rouen.

«Mamoudou était un de ces esprits brillants dont l’Afrique a besoin», a clamé son confrère Eloi Diarra. Puis son ami proche, l’avocat Laurent Poulet, de raconter : «Certains collègues l’imaginaient finir à un poste de doyen d’université, de recteur ou de ministre en Guinée. Pour ma part, je le voyais déjà garde des Sceaux. Il rêvait de rentrer au pays pour faire quelque chose de grand. Mamoudou ne vivait pas l’espoir, il l’incarnait.»

liberation.fr




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