En Guinée, visiblement les institutions ne font pas des choux gras l’observation du principe constitutionnel de la périodicité des élections. Et la justice constitutionnelle conçue théoriquement comme un organe distinct et indépendant faisant office de tête de proue des institutions et garante du respect de tous les principes constitutionnellement protégés, est aujourd’hui fourvoyée et accusée de partialité, de dépendance et d’inféodation. Elle a d’ailleurs toujours été soupçonnée d’être aux ordres de la politique et des humeurs. C’est un truisme de dire que la justice guinéenne souffre d’une mauvaise réputation dans la population. Ce qui entraine une réelle désaffection du fait de sa distanciation avec les justiciables. Ces remarques liminaires sont d’autant plus corroboratives avec la ligne directrice de la présente analyse que le fil conducteur de celle-ci consiste à commenter l’avis consultatif de la Cour constitutionnelle n°001/2019/CC du 10 janvier 2019 relatif à la fin du mandat des députés à l’Assemblée Nationale.
En effet, alors que le pays peine à sortir sous le déluge des critiques relatives aux dernières consultations communales et communautaires et du soupçon de modification constitutionnelle tendant à déverrouiller la limitation du nombre et de la durée du mandat présidentiel, par cette décision saisissante de la Cour, le régime guinéen vient de rendre encore plus tranchant le glaive de ses détracteurs contre lui. Entamée le 14 janvier 2013, la législature des députés guinéens se termine constitutionnellement le 13 janvier 2019 à 23 heures 59 minutes. Ils sont élus pour un mandat de cinq ans sauf cas de dissolution aux termes de l’alinéa 2 de l’article 60 de la Constitution. Ce mandat ayant expiré, aucune élection en vue du renouvellement du mandat des députés n’ayant pu être organisée à date échue, le Président de la République, par une requête n°340/2018/PRG/SP du 24 décembre 2018, sollicite de la Cour constitutionnelle un avis juridique relatif à la fin du mandat des députés à l’assemblée nationale. En sa qualité de garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat sur le fondement de l’article 45 al.3 de la Constitution, le Président de la République se voit dans l’obligation d’assurer la continuité fonctionnelle de l’assemblée nationale.
La question de droit soulevée par la Cour dans sa décision porte sur la possibilité légale de proroger le mandat des députés à l’assemblée nationale.
La Cour constitutionnelle, composée de sept membres, après avoir, d’une part, vérifié la recevabilité de la demande d’avis, d’autre part, interprété les raisons ou circonstances justifiant la non tenue à date échue les élections législatives, donne un avis favorable sur la prorogation du mandat des députés à l’assemblée nationale. Bien évidemment, cette solution retenue par la Cour soulève des interrogations tant sur les raisons ou circonstances pouvant justifier la prorogation du mandat arrivé à terme (I) que sur les motivations juridiques de la décision de prorogation (II).
I – Des circonstances pouvant justifier la prorogation du mandat des députés
Comme il a été noté supra, en Guinée, les députés à l’assemblée nationale sont élus pour un mandat de cinq ans sauf cas de dissolution aux termes de l’alinéa 2 de l’article 60 de la Constitution. Et en application des articles 132 de la Constitution et 2 du Code électoral révisé, la Commission électorale nationale indépendante (ci-après la CENI) est l’institution qui a la responsabilité d’organiser et de superviser des élections libres et transparentes. Au regard de ces dispositions, la CENI, saisie par la Cour constitutionnelle, peut soulever l’hypothèse de la prolongation du mandat des députés lorsqu’elle estime que les délais constitutionnels pour l’organisation des élections ne peuvent être respectés. Les motifs justifiant une telle possibilité sont légalement prévus. Il s’agit des raisons ou circonstances particulièrement graves, qui sont imprévisibles et menaçant l’ordre public. Si le législateur guinéen est resté évasif sur ces notions, il appartient à la Cour constitutionnelle, en application de l’article 30 al.3 de la loi organique L/2011/006/CNT du 10 mars 2011 relative à la Cour constitutionnelle, sur saisine consultative du Président de la République, de procéder à une interprétation intensive et extensive de ces éléments allégués par la CENI justifiant ainsi la prorogation des élections législatives.
En cette qualité d’interprète, la Cour se penchera entre autres sur les caractéristiques des circonstances d’une particulière gravité de sorte que l’organisation des élections ferait indubitablement obstacle à la garantie de l’ordre public. Ce qui serait un facteur justifiant l’impossibilité pour la CENI d’organiser des élections législatives libres et transparentes dans les délais constitutionnellement impartis en vue du renouvellement du mandat de l’Assemblée nationale.
C’est ce qu’elle a d’ailleurs fait en l’espèce. Après saisine du Président de la République sollicitant de la Cour un avis juridique sur la fin du mandat des députés, la Cour a saisi, à juste titre, la CENI pour connaitre les raisons ou circonstances pour lesquelles les élections en vue du renouvellement du mandat des députés n’ont pu être organisées à date échue. Les moyens soulevés par celle-ci dans le Considérant 5, quant à l’impossibilité d’organiser ces élections, ont été déclarés, à bon droit, irrecevables par la Cour dans ses Considérants 7 et suivants. Pour la Cour, en substance, les difficultés particulières alléguées par la CENI, consécutives à la mise œuvre des accords politiques et d’autres contraintes d’ordre juridique et opérationnel ne sauraient servir de motifs sérieux ou d’alibi pour la prorogation du mandat des députés à l’Assemblée nationale. Ici, le raisonnement juridique développé par la Cour possède tout pour plaire et pour convaincre. Il a le mérite de la séduction, de la cohérence et de la pertinence, de la rigueur, de la précision, de la concision et de la clarté juridiques.
Coup de tonnerre, la Cour fait un virage à 360 degré dans ses Considérants 8 et suivants. Après avoir déclaré irrecevables les moyens soulevés par la CENI, pourtant juridiquement c’est cette solution qui résiste, mais probablement pour ne pas décevoir le premier magistrat qui, visiblement leur donne du fil à retordre, les sages vont tenter de se livrer à des arguties juridiques afin de pouvoir résoudre cette épineuse équation de la prolongation du mandat des députés. Ces derniers sont d’ailleurs moins bavards sur la question. La Cour entreprend alors dans ses considérants de trouver en vain l’équilibre entre dire le droit et satisfaire la volonté du « chef ».
Cela est d’autant plus vraisemblable que la Cour constitutionnelle motive son avis du 10 janvier 2019 par des fondements juridiques qui n’ont que peu de lien direct avec la question soulevée. Ce sont donc les articles 45 de la Constitution, 125 du code électoral révisé n°0022/2017/AN du 24 février 2017 et 2 de la loi organique L/2017/030/AN du 04 juillet 2017, modifiant certaines dispositions de la loi organique n°91/15/CTRN du 23 décembre 1991, portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale, qui seront appelés à la rescousse.
II – Des motivations juridiques controversées
En analysant les dispositions motivant la décision des sages de la Cour, qui ne demandaient pas plus que d’être utilisées à bon escient, l’on se pose bien évidemment la question du sens, de la signification, de la conformité au droit positif de celle-ci. Il faut avouer que cette décision est source de questionnement et d’incompréhension teintée d’inquiétude du fait de son incohérence avec le respect du principe constitutionnel des échéances électorales. En outre, elle peut apparaitre choquante et inacceptable d’autant plus qu’elle semble prévaloir un intérêt particulier au détriment d’un intérêt général.
D’abord à la lecture de l’article 45 al. 3 de la Constitution, il ressort que le Président de la République assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat. D’emblée, si la tentation est de reconnaitre la cohérence du raisonnement juridique développé par la Cour, cependant, en portant un regard un tant soit peu attentif sur l’esprit et la lettre de cette disposition, de même en faisant une interprétation intensive et extensive de celle-ci, l’on s’aperçoit que de par sa formulation même, au lieu qu’elle soit le fondement de la décision, elle exprime plutôt l’idée contraire.
En effet, en vertu de cette disposition, l’on pourrait d’ailleurs soutenir que le Président de la République a failli à ses obligations constitutionnelles, celles du respect du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat. Saisir la Cour à une dizaine de jour de la fin du mandat des députés, alors qu’il avait l’obligation de s’assurer, comme l’incombe cette disposition, du respect des délais constitutionnellement impartis en vue du renouvellement du mandat de l’Assemblée nationale, ne relève que très peu du légalisme. La présidence est du moins bien informée des dispositions de l’article 60 al.2 en vertu desquelles, « la durée de leur (députés) est de cinq ans, sauf cas de dissolution. (…) ».
L’hypothèse de dissolution n’ayant pas eu lieu, les difficultés ou circonstances particulièrement graves et menaçant l’ordre public, qui sont légalement les seules dérogations possibles pouvant justifier la prolongation du mandat des députés, n’ayant pas non plus été retenues à bon droit par la Cour, il ne pouvait y avoir d’autres solutions légales que celles d’organiser les élections. Et le Président de la République, encore une fois en sa qualité de garant de la continuité des institutions étatiques, devrait s’assurer du respect de cette exigence juridique par tous les acteurs. Ce qui nous fait dire par conséquent qu’aucun obstacle valable n’empêchait la tenue régulière des élections législatives si ce n’est celui, et pas le moindre, du manque de volonté des principaux acteurs.
Donc, en s’engouffrant dans la brèche de l’article 45 sur le principe de fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat pour fonder son avis, la Cour fait un raisonnement juridique qui possède tout pour plaire mais peu pour convaincre. Elle aurait mieux fait, de tirer toutes les conséquences juridiques de cette mascarade politique. Le moment n’est plus aux décisions de complaisance.
Ensuite, l’article 2 de la loi organique du 04 juillet 2017, portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale, dispose que : « le mandat des députés de l’Assemblée nationale expire à l’installation de la nouvelle Assemblée élue ». Là aussi, d’interprétation stricto sensu ou lato sensu, la décision de la Cour ne peut résister pour longtemps sur le fondement de cette disposition qui semble être pourtant son épicentre. Pour la simple raison que la question d’inconstitutionnalité de celle-ci peut être soulevée. En effet, en aucun cas la Constitution n’a conditionné l’expiration du mandat des députés à l’installation de la nouvelle assemblée comme le prévoit cette disposition. La Constitution dans son article 60 précité précise que « la durée de leur (députés) mandat est de cinq ans, sauf cas de dissolution. Il peut être renouvelé ». Cette disposition inconstitutionnelle est cependant le fondement principal de la décision des sages de la Cour.
La question qui taraude est de celle savoir pourquoi la Cour s’est-elle référée à une disposition inconstitutionnelle pour motiver sa décision ? En se plaçant sur une échelle d’analyse à la fois diachronique et synchronique, l’on est tenté de dire que la motivation inavouée de cette décision des sages, serait la satisfaction de la volonté du Président de la République. Ce dernier étant l’incarnation de la continuité des institutions. Cependant, pour y arriver, il fallait mobiliser toutes les dispositions relatives au principe de continuité. C’est ainsi que les sages ont dégainé cet article 2 al.5 dont l’idée principale réside dans la continuité qui se trouve également être en harmonie avec l’article 45 de la Constitution sollicité dans la même décision. Si le législateur de 2017, conditionne le délai d’expiration du mandat des représentants par l’installation d’une nouvelle assemblée choisie par le peuple souverain, en voulant prévenir un vide juridico-institutionnel, la Cour a fait visiblement preuve de suivisme en prêtant moins attention sur le fait que l’article 60 de la Constitution exprime toute l’idée contraire. En espérant qu’il ne s’agit pas là d’un avant-gout pour les échéances électorales, notamment présidentielles prévues à l’horizon 2020.
Kalil Aissata KEITA
Enseignant-chercheur en droit
Université de Rouen Normandie