Guinée: rivalités mortelles au siège de l’opposition

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Au siège du principal parti d’opposition en Guinée, il y a comme une ambiance de western, avec son esprit de vendetta, ses menaces. Et son drame, dénoncé comme « un acte ignoble » par les associations de la presse guinéenne qui ont organisé, lundi 8 février, une marche à Conakry.

Trois jours plus tôt, le journaliste El Hadj Mohamed Diallo, 33 ans, est mort d’une balle dans la poitrine tirée devant le siège de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) à Conakry, où se tenait une réunion du bureau exécutif. Il était l’un des premiers sur place et, selon l’un de ses confrères, il a vite senti que la situation pouvait dégénérer à l’arrivée du vice-président du parti, Amadou Oury Bah, 57 ans.

La veille, celui que l’on appelle « Bah Oury » avait été exclu de l’UFDG pour « indiscipline et insubordination ». Lui se considère toujours comme le vice-président du parti. Fraîchement rentré de quatre années d’exil en France, ce militant radical de l’opposition est en croisade contre le président du parti, Cellou Dalein Diallo, 64 ans, ancien premier ministre de Lansana Conté et candidat malheureux aux élections présidentielles de 2010 et d’octobre 2015 face au chef d’Etat Alpha Condé. Il ne fait pas mystère de sa volonté de le renverser et de le remplacer.Ce vendredi 5 février, il est environ 16 h 30 lorsque El Hadj Mohamed Diallo observe donc Bah Oury sortir d’un pas rapide de son 4 × 4, garé de l’autre côté de l’avenue, et se précipiter vers le portail en fer du parti qui, pour une fois, est fermé. Entouré des siens (une dizaine de « gros bras »), il se heurte aux gardes normalement non armés de l’UFDG.

La foule devient compacte, quelques pierres fusent. Un garde du corps de Cellou Dalein Diallo lance en direction de Bah Oury une barre de fer, qui l’égratigne. Celui-ci fait alors mine de rebrousser chemin. Puis une détonation éclate, avant un second coup de feu, selon un témoin. Nul ne sait ou ne veut dire qu’il sait d’où proviennent les tirs. El Hadj Mohamed Diallo s’effondre. Qui a tiré ? Une information judiciaire « contre X pour homicide volontaire » a été ouverte. Pas de quoi soulager les proches du journaliste, marié et père d’une fillette de 4 mois.

« Guerre totale » à l’UFDG

Depuis le drame, les tensions au sein du parti d’opposition se sont davantage envenimées. « C’est le temps des règlements de comptes, la guerre est totale », dit sans ambages Bah Oury, depuis Conakry. A l’écouter, cela ne fait l’ombre d’un doute : Cellou Dalein Diallo est responsable du crime commis, selon lui, par sa garde rapprochée. « Il a voulu m’assassiner, j’en suis persuadé. C’était un guet-apens. J’ai reçu des pierres, un coup de barre de fer dans la tête, et évité de justesse un coup de couteau qui a blessé un jeune venu me protéger. Je ne dois la vie sauve qu’à la baraka, à Dieu », précise celui qui se considère comme un « rescapé ».

Cellou Dalein Diallo, le 19 avril 2015, à Conakry.

Dans l’autre camp, celui du président du parti, on ne se défend pas, on attaque. « Il est venu avec plusieurs dizaines de personnes, il a gardé la main gauche en permanence dans son boubou malgré la foule qui l’entourait et semblait déterminé à agir, à tuer le président du parti », dit un des proches de Cellou Dalein Diallo. Une version résumée dans un communiqué de la direction nationale de l’UFDG : « M. Bah était muni d’une arme à feu et accompagné de loubards à l’effet de perturber la réunion du bureau exécutif et, selon des rumeurs persistantes, avec aussi l’intention d’attenter à la vie de Cellou Dalein Diallo. »

Gracié par le président, Alpha Condé, l’ambitieux Bah Oury a semé le trouble dans son parti depuis son retour, le 24 janvier. « C’est un soldat perdu, un fou incontrôlable et on en sait plus quoi faire pour l’empêcher d’être nuisible », entend-on parmi les Sages de la coordination du Fouta-Djallon, région du centre du pays, berceau des Peuls, communauté puissante en Guinée et traditionnellement favorable à l’UFDG. Ces notables ont tenté, en vain, une mission de médiation entre Cellou Dalein Diallo et Bah Oury. « Il y a aussi eu des médiations des femmes députées de l’UFDG, des commerçants, des ressortissants de Pita [ville du Fouta dont est originaire Bah Oury], mais aucune n’a abouti car Bah Oury n’est plus raisonnable », déplore un cadre de l’UFDG, favorable à Cellou Dalein Diallo.

Tous les coups sont permisCe n’est pas une nouveauté. Amadou Oury Bah a toujours été considéré comme un radical, préconisant des actions fortes contre le régime en place lorsqu’il était en France. Il avait d’ailleurs été accusé d’avoir fourbi une attaque maladroite contre le domicile du chef de l’Etat, Alpha Condé, dans la nuit du 19 juillet 2011. Un mandat d’arrêt international (non repris par Interpol) avait été émis à son encontre par la justice guinéenne pour « association de malfaiteurs, détention de drogue, et atteinte à la sûreté de l’Etat ». A Paris, la rumeur veut qu’il ait proposé 1 million de dollars à des mercenaires pour abattre le président Alpha Condé. « Ce ne sont que des légendes, se défend Bah Oury. Déjà en 1992, on m’accusait d’avoir voulu tuer Lansana Conté [président guinéen de 1984 à 2008]. Dans l’histoire politique du pays, je suis un personnage différent, à part, mais franc et je n’ai pas peur ni d’un chef d’Etat ni d’un président de parti. »Bah Oury, vice-président de l'UFDG, exclu par la direction du parti.

Cela peut sembler étonnant mais aujourd’hui ses mots sont plus durs pour le président de son parti que pour le chef d’Etat. « Alpha Condé a démontré qu’il était prêt à faire des gestes concrets pour que le pays s’apaise », constate-t-il. Pour lui, l’avenir de l’UFDG s’écrira sans Cellou Dalein Diallo, resté pour le moment discret et en retrait, comme s’il n’avait pas encore entrepris de s’attaquer à cet encombrant vice-président. Dans son entourage, on estime que le parti n’a pas besoin d’un « malade », et Bah Oury est soupçonné d’être à la solde du pouvoir, en mission pour déstabiliser une opposition déjà bien mal en point. A les écouter, l’un des deux est de trop à Conakry. Alors tous les coups politiques sont permis, et le recours à la violence n’est pas exclu.




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