Paris, Conakry, le 16 octobre 2015 – Préoccupées par la tension persistante après le premier tour du scrutin présidentiel qui a eu lieu dimanche et par les appels à manifester contre les résultats dont la proclamation devrait avoir lieu demain, nos organisations appellent l’ensemble des acteurs politiques à la retenue et les engage à privilégier toutes les voies légales disponibles pour faire valoir leurs revendications.
« Les contestations relatives à l’intégrité du scrutin et à la validité des résultats, quels qu’ils soient, doivent être portées devant la Cour constitutionnelle, seule habilitée à trancher les différends électoraux. Les porter dans la rue ajouterait aux tensions actuelles le risque de nouvelles violences et ne servirait pas l’esprit démocratique auquel l’ensemble de la classe politique a rappelé son attachement en allant voter dimanche dernier », a déclaré Souhayr Belhassen, présidente d’honneur de la FIDH.
Depuis le premier tour qui s’est tenu dimanche 11 octobre dans un climat relativement apaisé, des tensions ont éclaté, notamment dans la capitale, et plusieurs candidats, dont Sydia Toure (UFR) et Cellou Dalein Diallo (UFDG), ont annoncé leur retrait du processus électoral, en raison des fraudes alléguées.
Dans l’attente des résultats consolidés et des conclusions des différents observateurs internationaux, notamment de l’Union africaine et de l’Union européenne, déployés en Guinée pour évaluer le déroulement du scrutin, nos organisations estiment que les conditions précaires dans lesquelles cette élection a été organisée appellent au plus vite des réformes techniques, recommandées par les différentes missions d’observation électorale depuis 2010. Il est indispensable, en vue des élections locales et législatives à venir, de consolider le cadre institutionnel et normatif afin de renforcer la confiance des guinéens dans les institutions de l’État et de limiter le contentieux électoral.
« Les tensions qui sous-tendent le débat politique guinéen sont particulièrement préoccupantes et menacent d’éclater si les institutions étatiques ne sont pas renforcées. La justice, les forces de sécurité et l’administration doivent pouvoir être perçues par l’ensemble des citoyens guinéens comme neutres, apolitiques et indifférentes aux clivages communautaires. Ce devra être la priorité du prochain gouvernement » a déclaré, Me Drissa Traoré, vice-président de la FIDH.
Nos organisations, engagées dans l’observation des violations des droits humains au cours de cette période électorale, ont documenté les évènements survenus à Koundara, Mamou, Nzérékoré et Conakry au cours des dernières semaines. Plus d’une centaine de personnes ont été blessées, une soixantaine arrêtées et au moins 6 sont décédées à l’occasion d’affrontements liés au processus électoral. Nos organisations déplorent d’une part le caractère manifestement communautaire de ces violences. Elles relèvent par ailleurs que bien que des actes de violence aient été commis de part et d’autre, les arrestations et les poursuites déclenchées jusqu’à présent ne visent quasi-exclusivement que les militants des partis d’opposition.
« Il en va de la crédibilité de la police et de la justice d’assurer que la répression des violences soit traitée de manière juste et équitable. Dans le cas contraire, c’est l’image d’un Etat au service d’un parti politique qui est donné aux militants des partis d’opposition. Il s’agit précisément d’éviter cet écueil pour construire un véritable Etat de droit et une justice qui soit acceptée par tous. », a déclaré Me Frederic Foromo Loua, président de MDT.
Sans minimiser les avancées enregistrées au cours des dernières années, le climat de tension dans lequel se déroule la deuxième élection présidentielle libre en Guinée doit constituer un signal d’alerte. Si le prochain gouvernement ne s’attèle pas à démanteler les racines de la défiance inter-communautaire en renforçant le cadre étatique commun à tous les citoyens, le risque est grand que la Guinée replonge dans son passé de violence politique.
« La violence des débats qui entourent cette élection, qu’elle soit latente ou assumée, souligne avec force la nécessité, pour le prochain gouvernement, d’engager véritablement le processus de réconciliation nationale que nos organisations sollicitent depuis 2010. La réconciliation des citoyens entre eux et l’apport de garanties pour restaurer leur confiance vis à vis de l’État, laquelle passe par la poursuite d’une réforme en profondeur des institutions, sont les conditions de la préservation de la paix en Guinée », a déclaré Abdoul Gadiry Diallo, porte-parole de l’OGDH.