L’ancien vice-président sud-soudanais, Riek Machar, limogé en juillet, a appelé, jeudi 19 décembre, dans une interview à RFI, au renversement par l’armée du président en poste, Salva Kiir. Mercredi, il avait pourtant nié sur le site indépendant Sudan Tribune, avoir orchestré une tentative de coup d’Etat dont l’accusent les autorités de Juba, le 15 décembre.
Avéré ou non, le putsch raté a donné lieu à des affrontements entre factions rivales de l’armée fidèles à l’un et l’autre camp. On dénombrait jeudi plus de 500 morts et quelque 20 000 réfugiés, sur fond de tensions entre les communautés Dinka du président Kiir et Nuer de M. Machar. L’événement a mis au grand jour la rivalité entre les deux hommes, liés par un combat commun au sein de la rébellion sudiste contre Khartoum, mais aussi par d’anciennes et profondes inimitiés.
L’ascension de Riek Machar au sommet de l’Etat est intimement liée à l’histoire de la rébellion qui, après des décennies de guerres civiles (1959-1972 puis 1983-2005), a obtenu l’indépendance du Soudan du Sud, le 9 juillet 2011. Un parcours lors duquel il s’est construit une réputation de chef charismatique, en vertu de son charme et de son éloquence, autant que d’homme trouble et versatile, en raison de ses retournements d’alliance.
REBELLION ET TRAHISON
Né en 1953 dans l’Etat pétrolier d’Unité, M. Machar est issu d’une branche du peuple Nuer, à la fois éleveur et agriculteur. Intellectuel, il s’est élevé par l’éducation. Après un diplôme d’ingénieur à Khartoum, il obtient un doctorat de l’université britannique de Bradford. Alors qu’éclate la deuxième guerre civile soudanaise, il rejoint en 1984, suivi par de nombreux Nuer, la rébellion de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) jusque-là essentiellement constituée de Dinka. Durant le conflit soudanais, M. Machar a épousé en seconde noces une travailleuse humanitaire britannique, Emma McCune, qui périt en 1993 dans un accident de la route à Nairobi.
Dès 1991, Riek Machar va s’opposer au chef historique de la SPLA John Garang et à ses proches, dont Salva Kiir, et tente un putsch qui échoue. La rébellion se fracture alors le long de lignes ethniques, et il est accusé d’avoir ordonné le massacre par ses troupes de milliers de Dinka à Bor cette année-là. Il fait alors défection et créé un groupe rival, qu’il rallie un peu plus tard à Khartoum. Ses troupes servent alors de supplétifs contre la SPLA, avant d’être réintégrée dans un ultime volte-face à la SPLA au début des années 2000.
Cette ancienne trahison sera occultée par la rebellion lorsque sont signés en 2005 les accords de paix avec Khartoum, ouvrant la voie à un référendum d’auto-détermination et à la future indépendance du Soudan du Sud. Salva Kiir le nomme vice-président en 2005, d’abord de la région autonome du Sud-Soudan, puis en juillet 2011 du Soudan du Sud indépendant. Sa présence au sommet de l’Etat était vue comme vitale pour promouvoir l’unité entre la majorité Dinka qui monopolise les postes de commandement au sein de la SPLA et l’ethnie Nuer, la seconde du pays.
UNE VICE-PRÉSIDENCE SUR FOND DE RIVALITÉS
Depuis son accession aux responsabilités, M. Machar tentait de se refaire une réputation, ternie lors de la guerre civile, notamment en menant des négociations – finalement infructueuses – pour persuader le chef de la cruelle rébellion ougandaise de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), Joseph Kony, de déposer les armes.
Mais sa rivalité avec Salva Kiir n’a jamais cessé et s’est à nouveau révélée au grand jour au printemps 2013 autour de différends entre les deux hommes sur la date et l’agenda de la conférence de réconciliation nationale. Riek Machar s’est alors empressé de dénoncer les « tendances dictatoriales » du président Kiir et d’afficher son intention de se présenter contre lui à la présidence du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM), ex-branche politique de la rébellion, au pouvoir.
Le 23 juillet, par un décret, le président Kiir écartait alors son rival de la vice-présidence et l’ensemble du gouvernement, ainsi que Pagan Amum, secrétaire-général du SPLM. Lundi 16 décembre, le président Kiir l’a accusé d’être responsable d’une tentative de coup d’Etat ayant déclenché dimanche soir les combats toujours en cours à Juba. Evoquant ses trahisons passées, Salva Kiir l’a présenté comme « un prophète de malheur qui poursuit ses actions du passé ». En fuite depuis cet incident, et l’arrestation de dix figures politiques sud-soudanaises, pour la plupart anciens ministres du gouvernement limogé en juillet, Riek Machar a nié avoir organisé un coup d’Etat contre le président.
Toujours officiellement vice-président du SPLM, il s’est expliqué le 18 décembre au Sudan Tribune : « Ce que nous voulions était transformer démocratiquement le SPLM. Mais Salva Kiir voulait utiliser la prétendue tentative de coup d’Etat pour se débarrasser de nous pour contrôler le gouvernement et le SPLM ». Selon M. Machar, Salva Kiir a violé de manière répétée la Constitution « et n’est plus un président légal ». « Nous ne voulons plus qu’il soit le président du Soudan du Sud », a-t-il poursuivi sans préciser ses intentions. Selon des sources concordantes, Riek Machar et ses partisans ont claqué la porte samedi d’une réunion de l’exécutif du parti au pouvoir, profondément divisé depuis plusieurs mois.
Pressé par le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, de faire un geste en faveur de la réconciliation, le président Kiir a dit vouloir « parler » avec son rival Riek Machar.
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