Guinée: «On m’accuse de vouloir retarder les législatives, mais nous avons en guinée un régime présidentielle : je n’ai rien à perdre en allant aux élections» dixit Alpha condé

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Convaincu que lui seul peut redresser la barre, le président de la République guinéenne, Alpha Condé, a répondu aux questions de J.A. Avec toujours le même franc-parler, qu’on l’interroge sur la situation au Mali, sur son bilan ou sur les critiques – sévères – que lui adressent ses opposants.

Vingt mois se sont écoulés depuis sa victoire à la présidentielle de novembre 2010, et Alpha Condé, 74 ans, a tout de même – un peu – changé. Pendant longtemps, celui que les Guinéens ont élu à 52,52 %, à l’issue d’un scrutin tendu et complexe, a été l’« opposant au pouvoir ». Celui qui, à force de vouloir être le président de tout et de partout, avait fini par ne plus habiter la fonction, tout en faisant son job et celui des autres, parfois jusqu’à l’excès. « Tu as vécu trop longtemps en Europe, tu es devenu blanc », lui répétaient les notables qu’effarait la propension du « Professeur » à sans cesse contrôler, vérifier, trancher dans le vif et négocier lui-même le moindre contrat d’importation de riz.

Ne serait-ce que pour ménager une monture usée par tant d’épreuves – dont la moindre ne fut pas la prison, sous le régime de Lansana Conté -, Alpha Condé a aujourd’hui pris de la hauteur et de la distance. Il a appris à déléguer, à faire (dans une mesure certes relative) confiance à ses collaborateurs, à assouplir son langage et à réduire le nombre de ses téléphones portables, dont il était un utilisateur compulsif. Le camarade Alpha est devenu un chef d’État, mais le naturel – c’est-à-dire, chez lui, la passion – est toujours là, rebelle au protocole, aux usages et à cette tendance qu’ont bien des dirigeants du continent à se réfugier dans la stratosphère. « Pour moi, c’est évident : un président doit connaître les dossiers de chacun de ses ministres autant et si possible mieux qu’eux, sinon ce n’est pas un chef », explique-t-il. Autant dire que, pour les intéressés, la barre est placée haut.

Il faut ajouter que la Guinée, où tout est à reconstruire, à commencer par l’administration, l’économie, l’armée et la conscience nationale, est encore en état d’exception. Les élections législatives se font désespérément attendre, prolongeant indéfiniment une sorte de vide institutionnel, et les relations entre le président et son opposition, qui lui reproche avec acidité ses « dérives autoritaires », sont placées sous le signe de la défiance réciproque. Une situation qui n’est guère propice aux investissements, à l’aide extérieure (celle de l’Union européenne en particulier) et à l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), même si les bailleurs de fonds sont unanimes à reconnaître les progrès socioéconomiques réalisés depuis un an et demi.

De passage à Paris, où il a été convié le 2 juillet à l’Élysée par son camarade de l’Internationale socialiste François Hollande, Alpha Condé a reçu Jeune Afrique dans sa suite de l’hôtel Raphael pour un entretien de plus d’une heure. L’interview terminée, Bernard Kouchner, l’ami de cinquante ans, est venu le retrouver pour le déjeuner. « Pas ici, c’est trop guindé, emmène-moi ailleurs », intime Alpha. « Ailleurs ‘ Mais je n’ai rien réservé ! » répond Bernard. « On s’en fout. » Les voici partis en goguette, comme deux étudiants. On ne se refait pas…

JEUNE AFRIQUE : Vous revenez d’une tournée en Thaïlande et en Malaisie. Vous étiez, quelques semaines auparavant, en Corée du Sud et au Cambodge. Pourquoi l’Asie du Sud-Est ‘

Alpha Condé : Parce que cette région était, il y a trente ans, au même niveau que la Guinée aujourd’hui. La Thaïlande, la Malaisie ou la Corée du Sud sont désormais des pays émergents. Ils ont su se développer grâce à des avancées en matière d’agriculture ou d’élevage, ou en acquérant une meilleure maîtrise technologique. La Guinée doit utiliser cette expérience non pas pour la copier, mais pour comprendre comment, en si peu de temps, on peut faire des pas de géant.

Un voyage comme celui-ci coûte cher. Concrètement, à quoi sert-il ‘

Premièrement, ce n’est pas vrai. Mes voyages ne coûtent pas cher à l’État, parce que je ne présente pas la facture. Ensuite, c’est à l’occasion de ces déplacements que nous pouvons signer des accords de coopération. Nous en avons passé, par exemple, avec la Corée du Sud : nous allons pouvoir envoyer des cadres chez eux, pour qu’ils y soient formés, et eux vont faire venir des techniciens chez nous. Toutes ces années, nous avons pris beaucoup de retard. Beaucoup de nos cadres sont à l’extérieur du pays, et il est difficile de demander à quelqu’un qui touche 3 000 dollars [2 380 euros, NDLR] par mois de rentrer pour gagner 300 dollars en Guinée. D’où l’importance de former des gens. Enfin, l’économie guinéenne dépend de l’agriculture, et si nous voulons être autosuffisants d’ici à 2014, nous devons être plus productifs. Il nous faut donc, pour des questions de financements et de transferts de technologies, développer nos relations avec l’Asie, mais aussi avec les pays du Golfe. Nous avons besoin que des sociétés étrangères viennent investir chez nous.

Je cotoie François Hollande depuis longtemps. C’est une erreur de croire qu’il ne connaît pas l’Afrique.

Et la visite à Paris, c’était pour voir votre camarade François Hollande…

Oui, je suis content qu’il ait été élu. Nous nous sommes longtemps côtoyés au sein de l’Internationale socialiste. Contrairement à ce que les gens disent, il connaît très bien les problèmes africains et il a rencontré beaucoup de leaders du continent, dont deux sont d’ailleurs aujourd’hui au pouvoir : Mahamadou Issoufou, au Niger, et moi.

Au sujet du Mali : la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) s’est réunie à Yamoussoukro le 29 juin. A-t-elle eu raison de retirer au capitaine Sanogo le statut d’ancien chef d’État ‘

Bien sûr, c’était comme une prime au coup d’État et c’était une erreur de lui avoir octroyé ce statut. Tout comme c’était une erreur d’avoir prolongé le mandat de Dioncounda Traoré à la tête du Mali : c’était, à l’époque, un problème interne au Mali, et c’était à l’Assemblée nationale de prendre cette décision. Peut-être même que nous aurions dû dire qu’ATT [Amadou Toumani Touré] devait revenir au pouvoir et rester jusqu’aux élections. Ne pas le faire a sans doute été notre première erreur, mais nous sommes en train d’essayer de nous rattraper.

En attendant, une chose est sûre : les militaires ne doivent plus jouer aucun rôle. Il faut aussi assurer la sécurité des représentants des institutions maliennes et faire à Bamako ce que l’Afrique du Sud a fait au Burundi il y a quelques années. Lorsque le président Nelson Mandela était médiateur là-bas, l’Afrique du Sud avait envoyé des troupes pour assurer la sécurité des hommes politiques. Ce doit être pareil au Mali. Parce que, si l’on peut, comme cela, entrer dans la présidence et attaquer le chef de l’État, plus personne n’est à l’abri !

Êtes-vous toujours favorable à une intervention militaire ‘

Oui. Le problème du Nord-Mali ne pourra être résolu que militairement. Nous avons transmis le dossier au Conseil de sécurité des Nations unies et nous espérons avoir rapidement une résolution qui nous permette de nous occuper de ce qui se passe à la fois à Bamako et dans le Nord.

Pourtant, certains espèrent encore que les négociations feront avancer les choses…

Et elles ont servi à quoi, jusqu’à présent, ces négociations ‘ On ne peut pas parler avec les membres d’Aqmi [Al-Qaïda au Maghreb islamique], on ne peut que les combattre. Avec les Touaregs, c’est différent. Leurs revendications identitaires sont anciennes, et nous devons essayer de trouver une solution politique avec le MNLA [le Mouvement national pour la libération de l’Azawad] – sachant que cette solution devra respecter l’unité du Mali.

La Cedeao est-elle prête militairement ‘

Oui. Tout ce que nous demandons aux Occidentaux, c’est un appui logistique et une aide en matière de renseignements. Les pays de la sous-région sont prêts à envoyer des hommes – la Guinée le fera. Mais il faut garder à l’esprit que le Mali, ce n’est pas simplement le problème de la Cedeao, c’est le problème de toute l’Afrique. Le Tchad, par exemple, est concerné, et il a une plus grande expérience de la lutte dans le désert. Au fond, la question n’est pas de savoir si la Cedeao est prête, mais si le continent est prêt. Personne n’a intérêt à ce qu’un nouvel Afghanistan s’installe là-bas.

L’Algérie aussi est concernée, et pourtant, elle est réticente à intervenir…

L’Algérie n’est pas contre une intervention, j’ai eu l’occasion d’en parler avec son ministre des Affaires étrangères. Elle est contre la présence de troupes étrangères dans la région, mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Ce sont des troupes africaines qui doivent intervenir, pas les Français !

On m’accuse de vouloir retarder les législatives, mais nous avons en guinée un régime présidentielle : je n’ai rien à perdre en allant aux élections.

En matière de politique intérieure, à présent : quand auront lieu les élections législatives, qui avaient été annoncées pour le 8 juillet ‘

Pendant des années, je me suis battu pour la démocratie. Je ne veux pas d’un scrutin bâclé : je ne fixerai la date des élections que quand j’aurai la certitude que la Ceni [la Commission électorale nationale indépendante] est techniquement en mesure de les organiser, et l’Organisation internationale de la francophonie [OIF] va nous aider à assurer leur transparence et leur bon déroulement.

L’opposition ne fait confiance ni à la Ceni ni à son président…

C’est un faux problème. J’ai fait modifier l’article 162 du code électoral, qui donnait des pouvoirs juridictionnels au président de la Ceni. Avant, ce dernier pouvait par exemple annuler les résultats des élections dans certaines circonscriptions. Je n’étais pas d’accord : le rôle de la Ceni est de constater les résultats, puis de les transférer à la Cour suprême, qui seule a un pouvoir juridictionnel. L’article 162 a donc été abrogé, et, aujourd’hui, le président de la Ceni n’a plus de pouvoir.

Les opposants vous accusent aussi de ne pas vouloir aller aux élections…

Ce sont des histoires ! Ce sont eux qui ne veulent pas aller aux élections. Retenez deux choses. D’abord, j’ai besoin que l’on organise rapidement des législatives, parce que les financements importants de l’Union européenne sont liés à leur tenue. Le PPTE [l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés], ce n’est pas pour Alpha, c’est pour la Guinée.

Ensuite, je n’ai rien à perdre avec les élections : nous avons en Guinée un régime présidentiel, pas un régime parlementaire. C’est moi qui nomme le gouvernement, et celui-ci n’est pas responsable devant le Parlement. Au Bénin, Boni Yayi a gouverné pendant cinq ans avec un Parlement qui lui était hostile, et cela ne l’a pas empêché de se faire réélire ! Mais si mes adversaires veulent boycotter le scrutin, c’est leur problème.

Source: Jeune Afrique




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