Guinée : « Monsieur le Président, vous avez encore moyen de ressembler à Mandela »

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Monsieur le Président de la République,

Dans l’histoire politique de la Guinée, vous serez toujours reconnu comme le premier président démocratiquement élu. Depuis votre prise de fonction en 2010, vous avez initié des réformes institutionnelles, économiques et sociales qui ont créé un potentiel à partir duquel il est possible d’engager une réelle transformation du pays.

Malgré ces efforts, les défis demeurent légion et votre position vous offre une opportunité unique pour aider à les relever. En voici quelques-uns :

la lutte contre la corruption, dont le dispositif institutionnel est encore pour le moment quasi inopérant,
les institutions de l’Etat, dont la consolidation est un impératif urgent pour la paix et la stabilité,
la cohésion nationale, dont la construction est une œuvre encore à achever,
les systèmes éducatif et sanitaire, qui méritent une attention particulière.

Votre legs politique à la Guinée pourrait être entaché si vous ne profitiez pas de cette opportunité unique pour contribuer substantiellement à la résolution, ou tout au moins à la réduction, de l’ampleur de ces problèmes, dont certains sont politiquement très sensibles. Vous disposez aujourd’hui, et encore pour quelques années, d’une marge de manœuvre unique et importante pour placer la Guinée sur la trajectoire de la transformation ou, comme vous l’avez si bien dit dans votre discours d’investiture de décembre 2015, « pour donner un autre avenir à la République guinéenne ». Votre second mandat lève un certain nombre des contraintes politiques et partisanes qui auraient pu entraver vos efforts pour impulser des changements en profondeur en Guinée.

Etant des amis ouest-africains de la Guinée, nous nous faisons le devoir d’attirer votre attention sur tout obstacle susceptible d’empêcher l’édification de l’eldorado que devrait être la Guinée pour tous les ressortissants de la région et, a fortiori, pour ses fils et filles.

Monsieur le Président, nous croyons profondément que ce second mandat est pour vous « une véritable chance d’entrer dans l’Histoire » de la Guinée (comme l’a affirmé Alfa Diallo) en consolidant les efforts en cours, parfois à travers des actes symboliques, dans les trois domaines suivants.
La consolidation des institutions de l’Etat

Dire que les institutions de la jeune démocratie guinéenne sont encore fragiles et qu’elles n’inspirent pas encore confiance à tous les acteurs majeurs de la Guinée ne devrait pas faire l’objet de polémiques. Des institutions fortes, crédibles et efficaces réduisent les risques de protestation, de violence, et garantissent stabilité et bon fonctionnement de la démocratie. Pour paraphraser Barack Obama, la Guinée « a besoin d’institutions fortes et non d’hommes forts ».

Nous pensons, Monsieur le Président, que vous pouvez aider à la consolidation des institutions. Par exemple, en vous assurant que les moyens dont elles ont besoin sont objectivement déterminés et que les procédures à suivre pour les mettre à disposition sont scrupuleusement respectées, vous contribuerez au renforcement de leur indépendance. Plus vous respecterez et inciterez tous vos collaborateurs à respecter leurs décisions, mieux vous contribuerez à consolider leur autorité et leur légitimité. Plusieurs jeunes démocraties de la région ont été sauvées par la solidité de leurs institutions et il est important que la Guinée suive cette voie.
La lutte contre la corruption

La corruption, cette gangrène redoutable dont souffrent tous les pays de la région et au-delà, est l’obstacle numéro un à la satisfaction des besoins essentiels des populations et, tout simplement, au développement. La Guinée ne fait pas exception et, tout en saluant les efforts que vous avez faits depuis 2010 pour terrasser le phénomène, force est de reconnaître que le problème reste quasiment entier. La Guinée occupe la 139e place sur 167 à l’indice de perception de la corruption 2015 de Transparency International.

A notre humble avis, Monsieur le Président, vous pouvez réduire de façon substantielle la corruption. Obtenir de votre majorité, plutôt confortable, à l’Assemblée nationale (et pourquoi pas de tous les députés) qu’elle travaille à l’adoption du projet de loi sur la corruption en attente depuis quelques années serait un grand pas. S’assurer que les institutions qui contribuent à la lutte contre la corruption disposent des moyens nécessaires pour s’acquitter de leurs missions ne peut qu’accroître les chances de succès. La lutte contre ce phénomène ne peut aboutir qu’avec un pouvoir judiciaire renforcé et un environnement favorable permettant à la société civile d’apporter sa contribution. Vous pourriez, par exemple, rendre opérationnelle la loi sur l’accès à l’information publique dont la Guinée est l’un des rares pays à disposer dans la région, mais dont le sort ne dépend en ce moment que de vous. Le rêve guinéen ne verra le jour, Monsieur le Président, que si un homme dans votre position saisit l’opportunité d’éradiquer la corruption dans les cœurs et les esprits. Le temps presse !

La cohésion nationale

Point n’est besoin d’épiloguer sur le fait qu’en Guinée la réalisation de la cohésion nationale demeure un objectif à atteindre, un défi. En 2010, lors de votre prestation de serment, vous exprimiez l’espoir « d’unifier [votre] pays ethniquement divisé à la manière dont Nelson Mandela rassembla l’Afrique du Sud après l’apartheid ». C’était vrai en 2010, c’est encore vrai aujourd’hui et ce sera vrai demain si vous ne faites rien.

Il est vrai que les voies pour réaliser la cohésion nationale sont nombreuses, mais il suffit parfois de gestes symboliques. En montrant, par exemple, votre soutien total au processus de réconciliation nationale en cours et en prenant l’engagement solennel d’en respecter les conclusions, en rencontrant toutes les associations de victimes, en adoptant une démarche officielle de demande de pardon à toutes les victimes ainsi qu’à leurs familles au nom de l’Etat guinéen.

Monsieur le Président, Nelson Mandela, cet homme auquel vous avez toujours souhaité ressembler en termes d’héritage politique, a affirmé dans son livre, Un long chemin vers la liberté, qu’il « n’était pas un messie, mais un homme ordinaire devenu un leader en raison de circonstances extraordinaires ». Ces « circonstances extraordinaires » s’offrent à vous à l’entame de ce dernier mandat à la tête de la Guinée. La majorité dont vous disposez à l’Assemblée et le vœu clairement exprimé par les citoyens lors de la présidentielle de placer la construction du pays en tête des priorités sont vos appuis pour travailler à la sacralisation de la Constitution et des institutions.

Monsieur le Président, à l’instar de Nelson Mandela, vous n’êtes pas « un messie », mais, comme lui, vous pouvez poser ces actes forts et réaliser le vœu que vous avez exprimé lors de votre investiture : « Œuvrer à la construction d’un pays uni, fort, libre et fraternel. Un pays tourné vers la prise en compte des aspirations des populations par une gouvernance soucieuse d’offrir aux uns et autres une vie meilleure. » Ce sont ces actes qui vous rapprocheront de la philosophie et de la démarche de Nelson Mandela. Ce sont ces actes qui jetteront les bases de la construction du « rêve guinéen ».

Mathias Hounkpe et Ibrahima Amadou Niang




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